Yazd est une petite ville. Il n’y a pas tant de choses à y faire, mais se balader dans ses petites ruelles et sa belle mosquée suffisent à se rendre compte du charme de la ville. Rogger me fait découvrir de chouettes restaurants et me présente une iranienne qu’il a rencontrée ici. Elle est hyper féministe et se balade dans Yazd sans hijab. Elle nous montre des vidéos de manifestations et est très fière de nous apprendre que la télévision nationale a été piratée, montrant l’ayatollah Khamenei brûlant dans des flammes. Elle nous fait visiter la ville et nous fait monter sur un toit pour avoir une jolie vue sur une mosquée. Là-haut, elle enlève mon voile. Je n’ose pas le remettre, ça serait injurier les femmes iraniennes. Je passe donc une heure avec Rogger et elle sans mon voile, en public ! Nous sommes toutefois en hauteur et donc peu visible, mais je suis fière d’être à ses côtés sans mon voile.
Le soir, les suisse-allemands me rejoignent à Yazd et on se prend une chambre d’hôtel pour les quatre. Rogger quant à lui s’en va pour le sud de l’Iran le lendemain. On passe la soirée à fumer une shisha et à apprendre des mots de farsi que nous enseigne des iraniens autour de nous. J’avoue, y’avait pas mal d’insultes dans ce qu’on nous a appris. Les deux jours qui suivent seront très chill, nous avons tous besoin de repos après ces dernières semaines intenses. Je me balade dans les ruelles aux airs de désert et m’arrête de temps à autre pour une glace au safran. La ville est calme, car très conservative. Suivant les nouvelles, et au vu de l’évolution des manifestations, les discussions entre nous continuent : devons-nous quitter le pays ? Je ressens une sorte de pression de mes proches ; je sais que l’on préférerait que je parte. Les gars, eux, veulent rester encore plusieurs semaines. Apprenant que les gouvernements français, allemands et autrichiens recommandent de quitter le pays, je me décide à ne pas renouveler mon visa (ce qui était déjà presque certain, mais le sud de l’Iran me faisait envie…). Entre suisses, on se décide à appeler l’ambassade à Téhéran ; Lukas et Patrick n’ont pas l’application Admin.ch (et ne peuvent pas l’installer car ils n’ont pas de VPN et donc plus d’accès à l’App store : c’est l’Iran), la Suisse ne sait donc pas qu’ils sont là. Au téléphone, un Suisse leur répond avec un accent bien francophone « Ja ». Il nous dit que l’on doit y aller au feeling, mais qu’au vu de la situation…
Je ne sais plus quels mots il a utilisés pour nous le dire, mais il a insisté pour que l’on se rende compte que tous les pays alentours de la Suisse recommandent de quitter le pays, que la police est arbitraire, etc. Il pose ensuite les questions usuelles à Lukas et Patrick :
vous voyagez encore combien de temps en Iran ?
3 semaines.
Ah… Et vous voyagez comment ?
En stop
Ah… et c’est quoi le prochain pays ?
Le Pakistan
Ah !
Très divertissante cette conversation. Je l’imaginais à l’autre bout du téléphone, à deux doigts de la crise cardiaque.
Je me décide à réserver un billet d’avion pour Bangkok.
Je pars ensuite dire aurevoir à Rogger et apprends alors qu’il prend le même vol que moi jusqu’à Sharjah aux émirats, pour ensuite aller à Dubai ! Nous nous reverrons donc encore !
A Yazd, je me suis achetée un pantalon rouge. Non que je veuille vous partager mes achats à travers ce blog, mais il faut comprendre qu’en Iran, les couleurs vives, c’est pas tant apprécié des Mollahs. Les femmes portent aussi des couleurs vives, mais c’est plus rare, et on les dévisage plus longuement.
Je portais donc très fièrement mon pantalon rouge dans les rues de Yazd. C’était mon doigt d’honneur aux Mollahs.
Le soir, j’ai trouvé un petit café bobo avec un piano. On m’a laissé y jouer et on m’a même demandé de revenir, ce que j’ai fait avec plaisir. J’y ai trouvé une adresse de tatoueuse (c’est interdit de se faire tatouer à Yazd (et peut-être même dans tout l’Iran)). Je voulais qu’on me tatoue « Azizam » sur le bras (ça veut dire « ma chérie »). Mais elle ne m’a jamais répondu ; pas de tatouage.
En rentrant à l’hôtel, je vois les gars se taper des énormes barres à l’entrée. On passe une chouette soirée. Le gars de la réception nous apprend de nouvelles insultes en farsi (et quelques phrases d’accroches aussi pour compenser). Soudain arrive un client, il nous apprend que notre prononciation de certains mots peu porter à confusion avec d’autres (et il est très gêné de nous avouer lesquels) : on s’en excuse et décidons d’arrêter de mettre ensemble des mots appris séparément, ça ne fait pas bon ménage apparement. Lui me dit que je suis courageuse de voyager seule en Iran. Je lui réponds que je le suis moins que le peuple iranien, mais n’ose pas aller plus loin dans ma réflexion. Il me dit de ne pas faire de taarof avec lui. Je lui assure que ça n’en est pas. Tobi me fait de gros yeux. Je réalise qu’il pense que notre interlocuteur est pro gouvernement. Je me mords les doigts et espère de pas avoir raconté trop de bêtises plus tôt. Faut croire que non ; je suis toujours en vie deux semaines après. N’empêche qu’on devient parano dans un pays comme ça (ou est-ce seulement de la paranoïa ?).
J’achète à l’hôtel un recueil de poèmes en farsi, et traduit en français de Hâfez Shirâzi.
En allant au lit, je découvre des mails de la compagnie aérienne qui s’occupe de les deux premiers vols d’une longue série :
Shiraz (Iran) - Sharjah (EAU)
Sharjah - Muscate (Oman)
Muscate - Mumbai (Inde)
Mumbai - Bangkok
Airarabia m’annonce très simplement que les deux premiers vols sont supprimés et qu’ils m’offrent à la place le même vol quatre jours plus tard. Stupeur et tremblements.
Sauf que quatre jours plus tard, j’aurais bien sûr loupé mes correspondances et surtout, mon visa iranien aurait expiré. Je passe donc plusieurs heures au téléphone pour arranger ça.
La seule solution est de prendre les deux premiers vols un jour avant les deux suivants. Je dois donc attendre 30h à Muscate. Je prends, c’est toujours mieux que d’être arrêtée à l’immigration en Iran.
Le lendemain matin, je quitterai mes compatriotes pour aller à Shiraz, d’où je partirai pour les tropiques.
En partant dans mon taxi pour la station de bus, je réalise qu’une grosse page se tourne. Mes trois suisses vont me manquer et passer ces quelques jours avec eux aura été formidable. On se promet toutefois de se revoir à Koppingen et d’y manger des Apfelmakaronis (parce que je me suis tant moquée d’eux concernant leurs habitudes alimentaires… disons… suisse-allemandes) ; je compte bien tenir cette promesse.
C'est bien d'aller en Iran pour découvrir les spécialités suisses-alémaniques!