Départ du camping de Torres del Paine en direction de l'Argentine (wouhouuu) !
J’espère traverser la frontière le jour même et malgré la pluie prévue, je devrais avoir du vent de dos pour la première fois du voyage et suis toute excitée à l’idée d’avancer ! On m’a beaucoup parlé de l’Argentine et on m’a vendu son hospitalité, la gentillesse de ses habitants, sa nourriture et le coût de la vie peu élevé là-bas. J’ai donc en fait pas mal d’attentes pour ce nouveau pays et me réjouis de traverser cette frontière à vélo. J’enfourche Edouard et fais les 5km de ripio parcourus en bus deux jours avant. Je m’en sors pas trop mal mais il y a beaucoup de boue et ça bloque parfois la roue. C’est ça d’avoir eu de la pluie les trois derniers jours ! Le ripio n’est pas si terrible, j’arrive à l’entrée/ sortie du parc. Je revois mon pote ranger, Esteban. On discute un moment, il insiste pour me prendre en photos sous tous les angles possibles et imaginables devant le panneau de bienvenue du parc. Il me souhaite bon voyage et je retrouve très vite l’asphalte tant aimé et très attendu. Il est relativement tôt et le vent n’est pas encore bien réveillé, je monte et descends les collines et croise de tout jeunes guanacos, trop choux. Je passe à côté d’un beau lac, et le trafic est calme. Je suis contente et avance bien.
Sur un tronçon de dix kilomètres, j’ai le vent dans le dos pour la première fois de ce voyage. J’avance comme une fusée et fais probablement un bon trente kilomètres heure, surexcitée, avec un grand sourire et l’impression de redécouvrir la vraie liberté : celle de se déplacer à vélo sans encombres. Malheureusement, la route tourne à un moment et ce même vent qui me portait (il s’était bien levé depuis) se retrouve de côté désormais. J’avance alors bien plus péniblement et pour ajouter un peu de difficulté, la route supposément asphaltée tout du long se transforme en ripio pour cause de travaux. Ouch.
Le vent me pousse contre les voitures qui viennent en face et décidant que c’était décidément trop dangereux, je me rends vite à l’évidence, il faudra marcher.
Je me mets donc à pousser mon vélo sous les yeux écarquillés et regards un peu trop insistants des touristes des bus passants. Le vent me fouette le visage et j’avance vraiment difficilement. Heureusement, la pluie n’est au moins pas au rendez-vous. Je fais bien trois kilomètres comme ça, tout en tendant le pouce les rares fois où une voiture/camion passe dans mon sens. Sans succès. Un pickup me dépasse une fois, une femme seule au volant qui me fais un signe, l’air de dire : désolée, je vais pas te prendre.
Un conseil : si vous ne voulez pas prendre quelqu’un en stop, ne faites pas semblant d’être désolé et passez tout droit. C’est vraiment pire que quelqu’un qui te calcule pas.
Je commençais à vraiment souffrir du vent et à avoir un peu peur aussi d’être bloquée là, car il était évident qu’installer ma tente dans la pampa venteuse serait ici impossible. A un moment, je lâche mon vélo sur le côté et me laisse tomber sur le bord de la route. Au bout de ma vie. Je m’assois sur le rebord de terre à prendre la poussière des camions du chantier passant dans l’autre sens. J’attends un miracle, je ne sais pas. J’ai le vent qui vient de dos et me pousse vers la route, la capuche qui me fouette le visage et un désespoir grandissant. J’essaie le stop avec une petite camionnette. Le mec s’arrête à mon plus grand bonheur mais n’a pas de place. C’est un américain, il veut juste s’assurer que je vais bien. Thanks, mais oui, à part que j’en peux plus. Il s’assure que j’ai à manger et à boire et repart. Même scénario avec une chilienne en voiture. Je remercie leur instinct humanitaire.
Je suis seule au bord de la route et me remets à marcher. J’en ai marre. Un mec du chantier à côté passe en pickup, il s’arrête et me dit qu’il va juste au chantier quelques kilomètres plus loin. Voyant mon désespoir évident, il accepte de m’emmener au village suivant. La village frontière de Cerro Castillo. Muchas Gracias, fois mille. Vraiment.
En mettant mon vélo dans le coffre, la tige de selle me reste dans les mains. Je n’ai pas la capacité de gérer ça, je n’ose pas regarder si c’est vraiment cassé ou si elle est simplement sortie. La fameuse technique de l’autruche. Je me mets à l’avant du pickup et pratique mon espagnol avec Juan Carlos, mon sauveur du jour. Il m’emmène donc trente kilomètres plus loin, à cent mètres de la frontière avec l’Argentine. On sort le vélo du coffre et je réalise que ma tige de selle en carbone et bien coupée en deux. Impossible de pédaler désormais. Juan Carlos repart, avant que je me rende compte que ma gourde filtrante et ma UE boom sont restées dans le pickup. Un bon exemple de la loi de Murphy.
Je lâche (ou plutôt lance) Edouard au bord de la route et échappe au vent en me posant dans une “cafeteria”. C’est cher, mais c’est chauffé et j’ai de la 4G qui me permet de chercher une solution à mes emmerdes. On m’accueille chaleureusement et on me prend vite en pitié quand je raconte mes aventures après un coup de fil à mes parents. Le tenancier me propose de regarder si je peux trouver un bus pour El Calafate, mais aucun ne s’arrête ici, même s’ils passent par là.
Tout à coup, j’entends parler français. Un groupe de touristes rentre et je me tourne vers eux pour leur demander leur destination. Ils vont à Torres del Paine. Leur guide est franco chilienne et me dit de ne pas me faire de soucis après avoir entendu mes aventures ; elle va me trouver une solution. Trente secondes après, j’avais un chauffeur pour El Calafate ! En effet, leur chauffeur retourne le soir dormir à El Calafate. Luis viendra donc me chercher après à avoir déposé les français au parc national. Pas de soucis pour prendre Édouard, et le tout gratuitement. Montagne d’émotions en quelques minutes. Le groupe fait une pause et on discute un moment. La guide s’appelle Sylvana et est une vraie perle. Elle m’invite chez elle au nord du Chili et me donne des conseils pour trouver le soleil. En somme, elle me redonne le sourire. Je suis aux anges et la chance est de nouveau de mon côté. Je sais que j’aurais probablement du retourner à Puerto Natales sans elle, car II n’y a quasi pas de traffic sur cette frontière, le stop aurait été compliqué.
Comme convenu Luis revient me chercher. Il ne parle pas anglais et c’est très bien, j’améliore mon espagnol en discutant avec lui sur le chemin. Tampon de sortie chilien, tampon d’entrée en Argentine, j’ai passé la frontière, pas sur mon vélo malheureusement mais en bonne compagnie tout de même. Nous en avons pour cinq heures de route et je m’endors après une longue journée. Luis me propose de m’étaler sur les sièges du bus pour me faire un lit et pas besoin d’enlever les chaussures ! J’abandonne vite le trop de politesse et accepte avec plaisir.
Ma sieste finie, je reprends la discussion avec mon chauffeur. Il est vraiment trop sympa. Petit stop à une station service où il m’offre des empanadas (décidément, l’hospitalité argentine !!) et cap sur El Calafate. En route, il m’apprend qu’il a été chauffeur de camion. Je lui demande dans un espagnol labile si la vie de camionneur est plus difficile. Il comprend que je lui demande si c’est plus difficile de conduire un camion ou son bus et insiste pour me faire essayer. Me voilà donc à conduire un minibus sur la mythique route 40 en Argentine. Je n’y aurais pas cru le matin même.
Je le laisse reprendre le volant et nous arrivons finalement à destination. Il me pose devant mon auberge et m’indique même où faire réparer mon vélo. Un ange tombé du ciel.
Je n’ai rien réservé et il est 23h, mais Juan m’accueille les bras grand ouverts dans son auberge qui a une atmosphère hyper chaleureuse. Je rencontre vite Marcus , un motard autrichien de cinquante ans qui a des histoires de fou et qui aime parler et avec un gros accent des montagnes de Salzburg. Un vrai voyageur qui en a fait un style de vie. Quelques années avant, il a fait un gros accident de moto (par sa faute !) et est tombé dans le coma pendant trois semaines. Les médecins pensaient qu’il n’avait aucune chance. C’est donc un miraculé. Après cela, il a tout vendu, maison, voitures, etc. pour partir vivre sur sa moto. Il est depuis trois ans sur les routes d’Amérique du Sud et à des anecdotes sur tout et n’importe quoi. Quel plaisir de parler avec lui !
Je suis très fatiguée et m’endors vite. Le lendemain, c’est dimanche et donc repos forcé. Tout est fermé et je repousse donc au lendemain la quantité de choses que je dois faire ici. Je fais une matinée tranquille et me pose dans une boulangerie bruyante avec un mauvais service. Appel avec les parents et retour à l’auberge avec un empanadas dans la poche.
Je suis un peu perdue avec mes plans. J’ai besoin de soleil, de moins de vent, de moins de pluie et de plus de gens. La route que je prends n’est donc pas là bonne pour cela. Je décide donc d’aller encore à El Chalten un peu plus au nord et d’ensuite prendre le bus jusqu’à Esquel, à 1000km de là. Les températures devraient y être plus clémentes. Les locaux ne font que de me le dire, la région des lacs est magnifique (muy linda ! Hermosa !), il est temps de la découvrir.
Mais pour l’instant c’est chill à l’auberge. Je discute avec le motard et Juan le gérant de l’auberge arrive avec un pote à lui (45 ans environ les deux). Il est 16h. Ils ont du rouge et de la viande rouge -aussi- à cuire. Juan est un ancien chef mais aime toujours autant cuisiner. Il se met à la tâche pendant que son pote nous offre l’apéro. Le feu allumé, j’apprends que je suis sur le point de goûter mon premier asado, le barbecue argentin ! Je fais donc une entorse à mon régime pescetarien afin de goûter une spécialité de la région. Après six mois sans viande, j’ai dégusté avec plaisir du bœuf cuisiné à la perfection accompagné d’une salade de chef. Un vrai gastro !
Les bouteilles de rouge se vidant, on décide de changer de décor pour aller voir le magasin de vin de Morano, le pote de Juan. On se fait une dégustation de vins argentins (coup de cœur pour le sauvignon blanc Pulenta !!!) et j’étoffe mon vocabulaire avec de l’espagnol argentin. Il faut commencer par la base : les insultes. C’est moins poétique que celles en farsi, mais ça peut toujours être utile.
Vers 23h, Juan a une nouvelle lubie, me faire tester une autre spécialité à base de fromage. Le magasin est encore juste ouvert et on se dépêche d’acheter de quoi cuisiner. Retour à l’auberge pour manger une incroyable première provoleta. Quel délice ! C’est une soirée qui se termine vers trois heures du matin, et un lundi matin qui commence plus tard que prévu...
Le lendemain, je rencontre un couple de français tout chou et des gens de toute l’Amérique latine dans cette auberge incroyable. Que du bonheur. (C’est l’auberge argentine ici).
Prochaine étape, réparer Édouard.
Je me dirige vers un petit magasin de vélo que Juan ma conseillé, il me dit que c’est mieux que HSL dont mon super chauffeur m’avait parlé. J’arrive donc avec mon Edouard tout cassé. Les deux gars sont trop sympas et tentent tout de suite de sortir le bout cassé de carbone du trou de la tige de selle. Grosse galère et le bout fini par tomber dedans. On verra ça plus tard. Ils me disent qu’ils veulent bien m’aider mais que je dois acheter une tige de selle (en Alu cette fois !!) chez HSL. Je fais ça vite et suis chanceuse qu’il reste une tige. Je retourne chez mes deux potes et Lucas, l’un des deux, met toute son énergie à sortir le bout coincé et replacer la nouvelle tige ainsi que de l’ajuster avec la selle et le porte bagage. Il me donne pleins de conseils pour ma route dans la région des lacs.
Combien je te dois ? Rien du tout, une bière à la limite !
J’insiste, sans succès. El Calafate, c’est vraiment une chouette vibe, et ma chance à tourné. Je garde contact avec Lucas pour plus de tips autour des lacs ; il y a fait plein de road trips et adore cette région.
Ensuite direction la carte SIM. Je trouve un kiosque, achète une carte et me la fait activer par la gentille tenancière (avec sa carte d’identité argentine, c’est plus facile que en étant étranger). Je me rendrai compte plus tard en la chargeant que ça ne marche en fait pas.
Elle me désigne une petite pièce à côté et ouvre la porte. C’est une sorte de bureau.
Qu’est-ce que je fous là ? C’est hyper craignos et après avoir fermé la porte, elle me montre son taux. J’accepte et lui change mes dollars qu’elle s’empresse de mettre dans un coffre. Je ressors avec une énorme liasse, le plus gros billets en pesos étant de 1000, équivalent à environ 3.- de blue dollar. Je réaliserai plus tard m’être fiat un peu avoir avec le taux de change, mais c’est le jeu d’être touriste.
C’est le début de l’après-midi et tout ça m’a prit du temps. Je m’achète vite un sandwich et me poste au bord de la route pour faire du stop. Je veux en effet aller voir le fameux glacier Perito Moreno. On m’a fortement déconseillé d’y aller en vélo au vu du vent de face, et les cyclistes m’ont tous dit que faire du stop pour y aller était très facile. En moins de cinq minutes, Linus, un lithuanien, me prend en stop. J’apprends vite qu’il était à Buenos Aires pour le travail (il est ingénieur dans le domaine de l’aviation), et qu’il n’a quasi pas dormi de la nuit. Il a atterri à El Calafate et a tout se suite voulu voir le glacier. Rassurant quand tu sais que c’est lui qui conduit pour les deux heures à suivre ! Il manque de nous tuer deux trois fois, mais grâce à mes “keep your right !!”, nous arrivons au Parc National.
On se met ensemble en marche sur les passerelles de bois qui mènent au point de vue du glacier et je tente de satisfaire sa curiosité face à mon voyage. Il me pose tellement de questions ! Je profite pour lui poser des questions plus politiques sur son pays.
Sur les passerelles, je croise les françaises rencontrées à Torres del Paine. Elles sont venues en stop. On discute un moment, puis je repars avec Linus. L’appareil photo s’use, le glacier est d’une splendeur impressionnante. C’est une claque que de voir cette étendue de plus de trente kilomètres de glace face à soi. On l’entend bouger, craquer, et on le voit s’effondrer par endroits. Le bleu des icebergs est si pur, j’essaie tant bien que mal de trouver une description à cette couleur bleu azur. La pureté même. Toutes les photos du monde ne sauraient rendre l’éclat de ce bleu et de l’impression de petitesse que donne ce glacier. S’il n’y avait pas d’autres touristes autour, ça serait assurément un lieu incroyable pour méditer.
Arrivés à ZE point de vue, c’est Marcus, le motard autrichien de l’auberge, que je croise. C’est la deuxième fois qu’il vient mais il est toujours aussi fasciné par le glacier. Grand fan de photographie, il sort lui aussi sa caméra et l’un de ses nombreux objectifs pour tenter de saisir en photo la beauté de ce lieu.
Lui qui a la tchatche commence à discuter avec Linus, notre curieux assoiffé d’informations en tout genre. Ça me permet de me poser tranquille face au glacier un moment, de l’admirer.
Marcus s’en va et on le suit un moment. On entend tout à coup un énorme bruit du glacier, c’est assurément un gros bout qui s’est détaché ! Linus et moi voulons voir ça, Marcus est décidé à sortir mais seulement après avoir terminé l’une de ses nombreuses histoires. On continue à deux sur la passerelle et réalisons que l’énorme bruit entendu plus tôt n’est pas une si grosse pièce qui s’est détachée ! La hauteur du glacier est telle que même si un petit bout tombe à l’eau, le fracas est assourdissant.
On finit par retourner à El Calafate, non sans avoir galèré à trouver notre chemin dans le labyrinthe de passerelles. Retour une fois encore effrayant sur la route ; ce mec à besoin de dormir, c’est sûr. Le lendemain, je souhaite mettre le cap sur El Chalten, mais les locaux m’avertissent, c’est l’alarme orange pour le vent. Ça sent pas bon. Il ne faut pas me le dire deux fois, je n’irai pas en vélo. J’ai assez vécu de grosses ravales de vent pour m’en passer sur les deux cent kilomètres prochains. Linus va à El Chalten en voiture le lendemain, et comme il a décidé de dormir dans la même auberge que moi, je lui demande s’il veut bien me prendre avec Edouard.
Il accepte sans soucis et on part le lendemain, après une bonne nuit de sommeil (et ça me rassure quand Linus me dit que ça faisait longtemps qu’il avait pas aussi bien dormi). Après avoir enlevé les deux roues du vélo, je le mets dans la voiture en galérant un peu, parce que les sièges arrières ne se baissent pas.
Finalement, tout rentre et je dis au revoir à Marcus et Juan qui m’ont tant donné le sourire ces derniers jours. Le chat du voisin nous dit au revoir à son tour et nous voilà sur la route.
C’est seulement là que je réalise que le problème de Linus n’est pas tant le sommeil, mais très simplement qu’il conduit juste super mal. Jamais au monde il n’aurait eu son permis en suisse, et je doute que l’Argentine lui aurait délivré le document non plus. Je passe plus de trois heures au bord de la crise de nerfs. La technique de Linus face au vent et de rouler très simplement au milieu de la route. Cette double ligne jaune au milieu, tu l’as vois ?! “C’est parce qu’avec le vent qu’il y a, si je croise un camion on va se faire éjecter dans le gravel” qu’il me répond. Alors oui, je comprends très bien le problème, l’ayant vécu à vélo, par contre rouler au milieu de la route ne va pas nous aider… ralentir est une meilleure option ! On manque de renverser une voiture qui nous fait les gros feux puis il se met à accepter de ralentir un peu, non sans faire semblant qu’il pense quand même que sa technique fonctionne bien.
Quand on arrive à El Chalten, on retrouve la pluie. J’avais entendu parler d’une casa de ciclistas et avait pour plan d’y camper.
En arrivant sur place, c’est le désenchantement. C’est un peu un squat l’endroit. Il y a aussi des matelas avec une couleur douteuse pour ceux qui n’ont pas de tente. Linus décline très vite l’offre mais je décide de rester au vu des prix exorbitants de ce village touristique. En plus, je ne suis pas mécontente de dire au revoir à Linus qui m’a un peu saoulée sur ce voyage. Je suis toutefois hyper reconnaissante qu’il m’ait amenée jusqu’ici. D’ailleurs, il veut juste rester un jour et repartir à El Calafate pour ensuite aller à Torres del Paine. En gros, il veut faire toute la région en une semaine. Il ne connaît visiblement pas le dicton : "Quien se apura en la Patagonia, pierde su tiempo" (qui va trop vite en Patagonie perd son temps).
Peu importe, je m’installe dans le jardin de la casa de ciclistas, remplit de bordel et ne faisant pas très envie. Je rencontre un couple de français qui se prépare à faire la fameuse Carretera australe au Chili. Eux aussi sont un peu dégoûtés de cet endroit, mais c’est le seul truc pas trop cher dans le coin, et ils ont testé tous les campings du village, c’est mieux ici. Il y a bien une douche d’eau chaude, mais la perspective de mettre mes pieds sur le sol tout crasseux de boue me fait renoncer pour le soir. La cuisine est précaire et le four à gaz reste allumé sans casserole dessus pour chauffer la pièce. Un vieux couple vit ici, c’est donc vivable. Le charme de l’endroit, c’est peut-être ses murs recouverts de mots laissés par de vaillants cyclistes passés par là. Et puis, avantage non négociable, c’est un endroit où il est facile de rencontrer des cyclistes !
Ce couple de français est d’ailleurs (à part le polonais sur la ruta 9) le premier que je rencontre qui va dans ma direction! Je passe une journée tranquille et dors assez bien. Le lendemain, c’est courses, café, et réparer mes problèmes de carte SIM qui fonctionne toujours pas. Je dis au revoir plusieurs fois aux français que je croise partout dans le village.
Sur le groupe WhatsApp des cyclistes en Amérique du Sud, je vois les News concernant la traversée en bateau pour aller sur la Carretera. Trente personnes sont bloquées à cause du mauvais temps depuis une semaine. “It’s a shit show”. Ca me conforte dans l’idée de ne pas faire la Carretera et de ne pas passer sur son ripio. Je m’en vais prendre un billet de bus pour le nord, histoire de voir un peu de soleil.
Il n’y a plus de ticket pour le soir même, mais j’en obtiens un pour le lendemain. Edouard pourra monter s’il y a assez de place, sinon ils me l’enverront dans les deux jours. C’est d’accord. Le bus est cher pour l’Argentine. 90 dollars, alors que le salaire pour un mois consiste en moins que le double de ça ! Mais c’est un trajet de 19h et puis, je vais voir le soleil !
Je retourne à la casa et me pose dans le tente, à l’abri de la pluie. J’entends tout à coup de la musique et une langue qui me semble être du hollandais. Je sors de mon abri et rencontre deux frères qui ont une pêche d’enfer. Ils ont atterri à El Calafate et ont bravé la tempête (avec des rafales à 80 km/h) en trois jours. Ce sont des machines. Hyper impressionnant d’avoir fait un tronçon pareil dans ce vent, chapeau bas. On fait vite connaissance et on s’entend vite super bien. L’ainé a dans les jambes un déjà gros voyage, il est allé en Chine à vélo depuis les Pays-Bas, rien que ça ! Ils sont trop sympas, et en plus… ils roulent au nord ! Je suis soudain presque déçue d’avoir mon billet de bus, j’aurais eu trop de plaisir à pédaler avec eux (mais j’aurais peut-être eu de la peine à les suivre !).
Je leur offre des bières et on tchatche toute la soirée. Cette casa de ciclistas n’est finalement pas si terrible.
Je dors super mal à cause des travailleurs argentins qui squattent la maison et qui sont rentrés complètement bourrés au milieu de la nuit. En plus, il a fait 0 degré. Je n’ai pas vu la neige, mais la météo en annonçait un peu pendant la nuit, qui sait.
Au matin, Martijn et son frère Ewoud sont dans le même mood que moi : impossible de faire une marche au vu de la quantité de pluie qui nous tombe dessus. Autant dire que l’on passe la journée dans un café. Je fais un long appel avec Marie qui me fait trop plaisir et nous fait du bien aux deux. Et puis Ewoud me fait réaliser ; mais tu n’as pas ton bus ce soir ?
J’avais complètement oublié !
Je rentre donc au camping tout paqueter dans la boue et sous la pluie. Les gars font les courses et on cuisine le repas du soir avec Martijn. Une dernière bière en leur compagnie et c’est l’heure des adieux, non sans avoir laissé un petit mot sur le mur de la maison.
Je suis hyper triste de leur dire au revoir, mais suis convaincue que je reverrai Martijn sur la route (son frère n’est que la pour 6 semaines, tandis que lui a plusieurs mois).
Un petit kilomètre à vélo et me voilà à la station de bus, à démonter Édouard et l’emballer. Je croise les doigts pour qu’il y ait de la place pour lui dans le bus. On me regarde bizarrement et je vois défiler des sac à dos énormes devant moi. Je perds espoir en l’idée qu’Edouard pourra prendre le bus avec moi ; les gens ont avec eux des sac à dos qui font trois fois leur taille. Ça me fait flipper de le laisser à des inconnus, et j’ai peur qu’il arrive tout cassé. Le chauffeur du bus n’est pas sympa. Sur instruction de la compagnie, j’ai laissé tout le monde mettre ses bagages d’abord et je suis la dernière. Il n’essaie même pas de mettre le vélo et dit simplement non. Je lui montre les sacoches et essaie de garder mon calme. Je veux au moins avoir mes affaires avec moi, il me faudra bien dormir quelque part ! Je m’en vais chercher de l’aide au gars légèrement plus sympa du guichet. Grâce à lui, je peux au moins mettre toutes mes sacoches dans le bus, il me gardera Edouard.
Je suis toute paniquée à l’idée de le laisser. Je laisse mon numéro de téléphone et supplie le gars du guichet d’en prendre soin, je répète “es muy frágil !!”. Il note même pas où va le vélo et jette mes coordonnées dans un coin : rassurant.
Je suis à côté d’Israéliennes et je les impressionne beaucoup en leur sortant l’un des seuls mots d’Hébreux que je connais : « neshama ».
Après 22h de bus, j’arrive à la petite ville d’Esquel. Il n’y a pas grand chose ici et je suis seule à descendre avec un couple. Je retrouve mes sacoches et dois les trimballer jusqu’au camping le plus proche. C’est vraiment galère de porter tout ça sans vélo. Le soleil est là, je transpire. Ça me fait sourire.
Je me pose enfin au camping qui est super chouette (et moins cher que la casa de ciclistas / squat !) et qui est tenu par une famille. Je ne fais pas grand chose et réalise que je suis à nouveau seule après une semaine de rencontres trop sympas entre El Calafate et El Chalten. Ça me met un peu le blues et j’ai un peu peur d’avoir fait une bêtise en sautant l’étape pourtant très connue de la Carretera austral. Matériellement, mon vélo aurait eu du mal, mais j’aurais - il est vrai - pu la faire sur la partie goudronnée. Je remets tout en question, il me faut dormir.
Le lendemain, je me rends à l’évidence, il faut que j’avance au Nord et ça ne me sert à rien de passer la frontière chilienne. La partie argentine sera plus jolie et j’aime ce pays. Il me faut simplement rencontrer d’autre gens !
Le mec du bus est finalement très compétent, il s'assure que mon vélo va à Esquel et m'envoie même un message pour me prévenir qu'il a pu embarquer mon vélo !
💕💕💕
Tellement de choses :0
Le cheesecake a l'air vraiment fou, comme les néerlandais et leur vitesse de croisière probablement
Et on sent l'expérience du voyage quand 22h de bus c'est "normal" alors que pas du touut