Il me faut me réhabituer au vélo. Le ciel est bleu, il fait bon. Mais voilà qu’après cinq minutes, je réalise que ma roue avant est voilée. Je me dis que je vais essayer de continuer quand même. Mais le problème c’est que dès que j’accélère, j’ai mon guidon qui bouge dans tous les sens puisque la roue touche parfois les freins. Je veux absolument faire cette route jusqu’au bout et ne veux pas faire de stop.. mais dévoiler une roue, c’est pas si facile à faire. J’ai bien l’outil pour le faire, mais pas les connaissances. Je tente des réglages un peu au hasard, mais ça je change rien du tout. J’essaie de ne pas rouler trop vite mais il faut se rendre à l’évidence : je ne vais pas faire 400km comme ça et le prochain magasin de vélo est très loin (Jujuy). J’espère un miracle et voilà que je vois une grande famille à vélo. Sept gilets jaunes qui se suivent avec des charrettes, ça se loupe pas ! Je crois rêver quand je vois leur drapeau derrière. Ils sont suisses !! Et encore, ils sont fribourgeois ! Qu’est-ce que ça me fait plaisir de croiser des compatriotes francophones ! On se pose au bord de la route pour discuter voyage et voilà t’y pas qu’Olivier, le papa, m’offre son aide experte pour dévoiler ma roue. C’est lui qui a construit les vélos bambous de toute la famille et c’est pas une roue voilée qui lui fait peur. Un un rien de temps, il me redonne une Alba en pleine santé. Mille mercis !! Toute cette belle famille est déjà sur la route depuis un an et part pour une seconde année. Quatre enfant, dont un tout jeune ainsi que le copain de l’une des filles (sauf erreur). Géraldine, la maman, me transmet leur Polarsteps pour que je puisse les suivre dans leurs prochaines aventures. Vamos !
On se remet en route chacun de son côté et une petite descente plus tard, je fais déjà une pause pour admirer l’incroyable Quebrada de las señoritas. Je dois pousser le vélo pour arriver jusqu’à un parking en hauteur. Je pose Alba la en espérant qu’elle m’attendra et je me mets à marcher assez vite, car je dois quand même encore faire 60km cette après-midi et il est passé midi. (Oui, je n’arrive toujours pas à me lever tôt, en même temps il faisait -5 au lever du soleil).
Je dépasse tous les touristes et me balade dans cet impressionnant canyon tout rouge. Ça rappelle l’Arizona et son Grand Canyon où les images que je me fais du Bryce Canyon en Utah. Splendide. Arrivée au bout du canyon, une guide touristique se met à chanter une chanson traditionnelle dans le petit amphithéâtre qui résonne bien. Je l’ajouterai pas sur Spotify mais l’idée était là.
Retour sur ma monture et début d’une course contre le coucher de soleil pour atteindre Purmamarca, un petit détour sur ma route. Le vent s’est levé et j’ai un bon 30km/h de vent de face qui me tire bien mon énergie. Heureusement que j’ai beaucoup de dénivelé négatif. Je dois pédaler à la descente et ça me rappelle des souvenirs de Patagonie ; la partie pédaler à la descente ne m’avait pas manquée.
Je me pose pour une pause dans un abribus et me rends compte que quasi toutes les voitures m’ont klaxonnée. J’ai eu droit aux horribles dépassements de camions trop proches avec le vent et tout ça m’a bien épuisée. Mais... quelques Oreos et ça repart !!
Je prends quelques photos en route et en voyant le soleil descendre, me demande si je ferais pas mieux de bivouaquer là. Mais la route est très passante et j’ai franchement pas envie de devoir monter à Purmamarca le lendemain. Je me motive donc à redoubler d’effort pour arriver avant la nuit dans ce petit village réputé pour sa montagne aux sept couleurs (oui, les couleurs des montagnes se comptent en multiples de sept ici). Je tente un hébergement à 2km du village, mais c’est plein. Je franchis donc les deux derniers kilomètres déjà la nuit, mais à la très très appréciée lueurs des lampadaires (!). Je tente un hôtel mais le prix me fait verser. La dame est adorable et téléphone aux chambres d’hôtes du coin pour me trouver quelque chose dans mon budget. Au dernier essai : il y a de la place. Un vrai lit et une douche chaude, voilà qui promet de bien dormir.
Au matin, c’est petit-déjeuner et départ à vélo, mais en faisant un détour sur la montagne aux sept couleurs (avec Alba et les sacoches). Je suis regardée comme une ovni et tout le monde vient me parler. L’endroit est majestueux et je suis bien contente d’avoir fait ce petit détour. Je prends un million de photo et repart (non sans avoir acheté des empanadas pour la route) sur mes traces de la veille pour retrouver la route principale. Cette fois, direction Jujuy, capital. Il y a beaucoup de camions et c’est pas très agréable, mais j’ai finalement droit à une superbe descente qui me rafraîchit bien et me fait gagner un peu de temps sur mon retard (avec ma visite de la montagne, je suis à nouveau sortie vers 13h alors que je dois faire 70km…). J’arrive en fin de journée dans la grande ville de Jujuy en tentant d’éviter le traffic par les petites routes. Ça fonctionne assez bien et je m’évite l’autoroute ; on est plutôt contents.
Sur IOverlander, il n’y a pas beaucoup de choix et j’opte pour la maison d’hôtes de motard. Philippe le cycliste français en avait parlé sur son Polarsteps et je me demande ce qui m’attends. Je toque et reçois de gros aboiements en réponse ; c’est Attila, le chien du chef de la maison. Ambiance, comme écrivait si bien Philippe.
Il y a trois mecs accoudés à une table, un bordel pas possible au fond de la pièce (une sorte d’ateliers de réparation), trois énormes cylindrées à l’entrée (et un vélo) et d’autres chiens qui croient à tort que me traîner autour est une bonne idée. Mmmh.
Les trois gars sont habillés en motard. Foulard autour du coup, tatouage sur la peau. Euh, je vais vraiment passer la nuit là ? Mais ils ont un grand sourire et m’accueillent très chaleureusement. Je suis pas très à l’aise au milieu de tout ce beau monde et suis rassurée quand le chef (je l'appelle comme ça parce que j'ai complètement oublié son nom) me propose une chambre seule pour le même prix. J’ai droit à une douche un peu précaire et on m’invite pour boire un verre de rouge. Un allemand a rejoint le groupe et le cycliste argentin est là aussi. L’allemand voyage dans un énorme van à l’américaine et il est accompagné depuis peu d’une chilienne rencontrée sur la route. Aucun des deux ne parlent la même langue et elle est vachement plus jeune que lui. Je suis vraiment pas à l’aise là au milieu. Il me parle en allemand alors que les autres sont en train de me parler en espagnol et n'a pas de problème pour couper la parole. Bueno. Je vais assez vite me coucher et file à l’anglaise le lendemain matin. Ça faisait longtemps que j’étais pas partie aussi tôt ! Comme quoi, quand on veut, on peut.
Je me dirige sur Salta et on m’a prévenu : c’est une jolie route à travers les Yungas argentins, cette forêt d’altitude (ou de semi-altitude ^^). A la sortie de Jujuy, je croise un couple de cyclistes. Ils sont français et on papote un bon moment au bord de la route. C’est Elodie et Diego qui sont partis d’Ushuaia et qui tiennent un podcast de leurs aventures. Je leur donne quelques conseils pour la route des lagunes en Bolivie et il me donnent leurs bonnes adresses à Cafayate. Bonne route l’équipe !
Petite achat de délicieux empanadas au fromage et me voilà dans la forêt. Le trafic a bien diminué et ça fait du bien. La route est super étroite : 4m de larges pour deux voies. Il faut faire un peu gaffe dans les virages. Quel plaisir de revoir du vert ! Et cette fraîcheur ! Je suis trop contente. Bon, mais Komoot m’annonçait une descente pour la fin, elle est où ?
Finalement, la descente arrive et je retombe sur le plancher des vaches. Je suis dans une jolie campagne toute tranquille, pas loin d’un petit lac. Les gauchos se promènent avec leurs chevaux et le soleil de fin de journée se fait savourer. Comme la nuit ne va pas tarder à tomber, je renonce à atteindre Salta le soir même et me trouve un joli camping à 20km de la grande ville. C’est l’hiver et il n’y a qu’une famille d’argentins avec qui je partage cet énorme espace. Je plante ma tente (qui ne se ferme toujours pas) et profite de cette belle fin de journée au milieux des feuilles mortes.
Au matin, je prends mon temps et décide de suivre Komoot qui me propose une autre route que la route principale. À l’aventure ! Mais un peu trop d’aventure cette fois… je franchis une première rivière avec Alba, puis une deuxième, et une troisième, une quatrième, une cinquième… je suis épuisée et ne trouve pas d’autres chemins pour retourner sur la grande route. C’est le grand retour du ripio. Je dois franchir des barrières avec barbelé et passe à travers les vaches étonnées. Mais qu’est-ce qui m’a prit de prendre cette route ! J’atterris finalement dans le jardin/champ d’un gars qui vient à ma rencontre. Je lui explique m’être un peu - beaucoup - perdue et que je ne trouve pas comme rejoindre la route. Il m’autorise à traverser son champ et m’indique que je ne suis plus très loin de la route. Ouf ! Je franchis un total de 13 rivières et finis, trempée, par rejoindre la route principale.
Je ne suis plus qu’à dix kilomètres de Salta, mais j’ai perdu une heure avec mes histoires de “se rapprocher de la population locale et s’éloigner des grandes routes”. On va rester sur cette belle route goudronné maintenant hein. Heureusement, le soleil est là et je n’ai que froid à mes pieds trempés. J’arrive finalement dans Salta et trouve une piste cyclable (!) pour rejoindre mon auberge de jeunesse. La chambre laisse à désirer et je la partage avec sept autres personnes, mais je ne suis pas à ça près. Je ne fais pas grand chose à part répondre aux questions des argentins sur mon voyage et me doucher. Toute façon c’est dimanche et y’a donc rien à faire. Rien ? Non ! Le musée d’archéologie de haute altitude est ouvert (et sera bien sûr fermé le lendemain). Je me dépêche donc d’aller avant la fermeture (et après avoir récupéré un petit paquet de d’autres cyclistes suisse qui souhaitent que je le ramène au pays 🇨🇭) et m’élance dans la visite de ce musée. En entrant, j’ai mon téléphone qui me rappelle à l’aide d’une alarme que j’ai un appel vidéo pour une peut-être future colloc. Je sprinte un peu dans le musée en découvrant un peu effrayée la salle qui fait sensation. Des archéologues ont retrouvé en 1999, en haut du troisième plus grand volcan actif du monde (le Lullaillaco, 6739m), des momies de trois enfants issus de civilisations incas. Les trois sont extrêmement bien conservés et seul l’un des trois est exposés à la fois. Je découvre El Niño. Ces trois enfants ont été enterrés vivants en guise de sacrifice à la Pachamama. Spécial de réaliser que les touristes regardent sous toutes les coutures un enfant mort, mais fascinant à la fois, il est vrai, je l’avoue.
Je fais mon appel vidéo qui s’avère inutile (c’est pour un semestre cette colloc…) et rentre tomber dans les bras de Morphée. Crêpe au petit-déjeuner et rencontre de deux jeunes anglaises qui visitent l’Argentine. Je réussis l’exploit de trouver de l’argent chez Western Union alors que c’est un jour férié. Qui dit jour férié dit… tout est fermé. Je marche donc trente minutes pour découvrir que la boulangerie dont on m’avait tant parlé est fermée. Rebelote pour retourner au centre-ville où je dois carrément changer de resto car ils n’ont plus aucune de leurs options végétariennes. Décidément cette journée… je me tourne donc vers la pizza napolitaine qui constitue désormais mon repas quotidien, à défaut d’empanadas au fromage. Heureusement, je trouve un chouette café pour végéter l’après-midi et passer des téléphones. En rentrant à l’auberge, je croise par hasard Tristan et Joïa qui sont aussi à Salta ! Ça me remet tout de suite le sourire et je les joins à leur fin de repas pour papoter. On se donne rendez-vous le soir pour boire une bière. Je profite de cette rencontre pour leur donner mes conseils-Bolivie et m’alléger d’un poids : je file mon second sac de couchage à Tristan. On se dit au revoir, car le lendemain, je repars à vélo en direction de Cafayate (tout de façon, y’a rien à faire puisque le lendemain est aussi férié… ah ces argentins…). Mais il n’est pas encore l’heure d’aller se coucher ! Avec les anglaises retrouvées, on se dirige vers une Peña, cet établissement traditionnel qui mêle vin et danse. On se prend un verre et de quoi manger et regardons danser un couple vêtus traditionnellement. Sauf erreur, il s’agit d’une samba argentine. Et puis plus le temps passe, plus les clients du restaurants se lèvent et se joignent à la danse. Salsa et samba se mêlent aux airs joués à la guitare par deux hommes derrière. On finit par rejoindre la foule dansante, avec de grand sourires sur les visages. L’atmosphère est bon enfant, personne ne juge personne, tout le monde s’applaudit. Quelle soirée ! On rentre à l’auberge et le matin, c’est le grand départ en direction de Cafayate. Et qu'est-ce que j'apprends alors ? Le peuple se soulève dans la province de Jujuy en raison d'une nouvelle constitution provinciale qui écrase les droits de la population et particulièrement de la population indigène, très présente dans le nord du pays. Blocages de routes en perspective et vu les photos que j'ai vu, c'est du sérieux ! Les copains cyclistes ont pu passer, mais les voitures et camions sont bloqués. Amis touristes, oubliez votre passage en Bolivie par ici. Les tours touristiques sont annulés. J'imagine que les cyclistes doivent avoir la route pour eux, la classe ! Concernant les manifestations, la police à l'air de les réprimer assez violemment au vu des vidéos que j'ai pu visionner... Le gouverneur de la province de Jujuy est sur les listes des (pré-)présidentielles du pays. ça promet. 2023 est une année d’élections et vu la relation géo-politique/timing de mon arrivée ou départ des pays : il est temps de rentrer à la maison, for the sake of Argentina. Mais d'abord, Cafayate !
tant de choses vécues dans une épisode! C'est toujours si agréable de te lire!
13 rivières ! quelle aventure !!!!