Ashkan était venu nous chercher Stephan, Tobi et moi à notre auberge à Téhéran. Nous en avions pour quelques heures de route en direction du frais montagnard.
Après avoir survécu à la conduite des chauffards sur l’autoroute, nous nous sommes trouvés sur une route moins fréquentée quand soudain, le Mont Damavand a surgi face à nous, splendide, solennel, majestueux. Il avait l’air vachement haut, s’est-on dit.
Un petit stop dans une cahutte officielle pour payer nos permis afin de grimper le sommet en toute légalité, et nous étions repartis, non sans s’être fait offert un thé par le policier.
Enfin arrivés à destination, nous étions à 2000m d’altitude, et l’on nous a vite proposé d’aller manger un kebab. Direction le restaurant en voiture (!), alors que celui-ci était à deux pas ; mais mon dieu, cette équipe réussira-t-elle l’ascension du 5000m ?
Là, nous rencontrons Fahrid qui vient du Koweït et qui s’ajoute à notre chouette équipe de trois. Nous rencontrons aussi Zara qui, avec Ashkan, sera notre guide. D’autres gars étaient là, mais je n’ai toujours pas vraiment compris qui ils étaient.
Pendant le repas, Ashkan ne me sert pas en premier et s’en excuse mille fois. Je le rassure en lui disant que ça n’a pas d’importance, essayant de lui faire comprendre que je suis presque heureuse qu’il serve les mecs d’abord et me laisse en dehors de ces petits actes quotidiens témoins d’une société ayant évolué dans un environnement patriarcal. Ça fait tiquer Fahrid : “attends, tu es féministe ?” me dit-il sur un ton relativement peu appréciable. D’un oui tranchant et feignant la surprise, je crois couper court à toute réflexion désagréable. Fahrid ajoute tout de même “mais donc tu penses qu’on ne devrait pas servir les femmes d’abord ?”. Je n’avais vraiment pas envie d’entrer dans cette discussion, j’étais bien assez fatiguée comme ça et ai donc laissé sa question en suspens, sachant très bien ce qu’il en pensait et craignant que mes nuances ne soient pas écoutées et comprises, je préférais sauvegarder mon énergie et me taire. Je me sentais coupable de ne pas m’expliquer, comme si toutes les femmes de l’univers avaient à leur charge d’éduquer, sur la question féministe, les hommes qui avaient laisser échapper la délicate opportunité de le faire eux-mêmes.
Ça annonçait de longs débats, que l’on a bien sûr eu, les jours suivants.
Après ce délicieux kebab (avec pleiiiin de beurre sur le riz, slurp), il était temps de distribuer les affaires et de préparer les sacs pour le lendemain. Nous avons aussi fait une petite balade jusqu’à 3000m pour “s’acclimater” (hum, hum, à mon avis c’était surtout pour vérifier qu’on sache mettre un pied devant l’autre plus de 2km).
En haut, nous assistons au coucher de soleil magnifique. L’air est frais, les tensions de la capitale sont loin. En montagne, la police des mœurs ne s’y aventure pas trop. De fait, je ne me couvre pas les cheveux et ai l’impression de revivre. Les cheveux détachés, un vent de liberté me caresse. Je chéris ce moment et réalise à quel point porter ce tissus obligatoire est pesant. Quel bonheur d’avoir les cheveux au vent ! Je ne m’en lasse plus. Je me lance dans des débats sans plus finir, portée par une pointe de féminisme qui a décidément trop souffert en ce début de voyage en Iran pour se taire.
Nous redescendons à l’auberge et dégustons un très bon repas cuisiné par Zara. Le lendemain, nous partons en jeep au départ de la marche. Après le goudron, notre chauffeur s’enfonce sur un chemin de cailloux, que dis-je, de roches. Nous sommes secoués dans tous les sens et prions pour rester en vie d’ici la fin de matinée. Nous espérons que les roues de la voiture tiendront sans percer. Miracle, nous arrivons au bout du chemin, à Goosfandsara.
Une mosquée trône face à nous et derrière elle, le grand Damavand.
Des mulets vont porter nos sacs depuis ici jusqu’au camp de base. Pendant ce temps, nous aussi commençons à grimper jusqu’à 4200m où se situe le camp de base.
“Berim, Berim”, allons-y, allons-y !
Nous marchons d’un bon pas, faisons dix minutes de pause chaque heure, et le dénivelé augmente sans qu’on s’en aperçoive tellement. Après 5h de marche, nous arrivons légèrement essoufflés à Bergahe Sevom (4200m). La vue est à couper le souffle (déjà court) et une mer de nuage se forme, histoire de prendre de magnifiques photos de ce moment hors du temps. Le coucher de soleil nous met des étoiles dans les yeux, avant que ces dernières ne se décident à apparaître au ciel, éblouissantes.
La journée, nous étions en tee-shirt, mais une fois le soleil couché, ce sont bien toutes mes couches que je dois sortir pour arrêter mes dents de claquer. Gelée, je rentre boire un thé et manger avec notre super équipe. D’autres débats sont entrés en jeu, l’argument ultime de Fahrid est finalement sorti “mais on est d’accord que les femmes et les hommes sont différents [biologiquement] ?”. Ben oui, et alors ? Ah mon cher Fahrid, quelle énergie tu m’as demandé à essayer de t’expliquer ce que signifie égalité entre hommes et femmes…
Après une nuit de sommeil sans sommeil, nous avons eu droit à un jour d’acclimatation. Nous avons tout de même marché jusqu’à 4500m, cette fois en ressentant bien le manque d’oxygène. Tobi était un peu malade - à cause de l’altitude mais pas seulement - il souffrait un peu en marchant, un peu plus que nous je crois.
Berim Berim, nous disait Ashkan.
Nous redescendons ensuite au camp de base. Boire, boire, boire ; je l’oublie un peu. Le jour du sommet, je n’ai pas touché à ma bouteille d’un litre et demi d’eau, seul mon thermos de thé sera avalé. Oups.
Le soir, l’excitation monte. Fahrid nous avoue qu’il a peur de nous retarder ; c’est vrai qu’avec ses problèmes de genoux, ça lui prend du temps de descendre. Je le rassure ; on est une team, chaque rythme est un bon rythme ! Ashkan nous explique le programme du lendemain, à commencer par le réveil à 4h. Ouch.
Nous nous couchons mais aucun de nous ne réussi vraiment à dormir. Lorsque le réveil sonne, je n’ai toujours pas dormi. Peu importe, une grosse journée nous attend. On prend le petit-déjeuner à la frontale car à cette heure-ci, les panneaux solaires n’ont pas grand chose à offrir. Nous devons attendre une demi-heure que le responsable nous ouvre la cuisine et prenons du retard sur le programme.
Un peu avant 5h, nous partons en quête du sommet, à la frontale. La rythme est bon, le souffle essaie de suivre. Le soleil se lève derrière nous. Le vent s’absente la matinée, nous lui en sommes reconnaissants. Il ne fait pas trop froid, mais l’ascension est difficile. Stephan est venu en vélo depuis l’Allemagne, il est le seul à avoir une condition physique un tant soit peu maintenue. Vers 4800m, je peine vraiment mais prends ma revanche sur le Mont Blanc ; quel plaisir ! Je prends un rythme à moi pour survire vers 5000m. Tobi peine encore plus, il doit s’arrêter après chaque trois pas. Fahrid suit en retrait avec Zara. Stephan mène la marche aux côtés de Ashkan. Moi je suis au milieu de tout ce beau monde et me concentre sur mes pas, c’est fou ce que l’on va loin en se répétant “un, deux, trois”.
Notre bon rythme se transforme en un rythme acceptable.
Nous atteignons bientôt le “fake summit” ; celui que l’on voit depuis tout en bas, mais qui n’est pas le sommet bien sûr. Depuis là, nous sommes à une heure du vrai sommet. Tobi galère un peu, il souffre vraiment. Moi je galère un peu aussi, mais je veux en finir avec ce sommet et ne pas m’arrêter. Stephan est on fire, Fahrid toujours derrière.
Le souffre nous accueille à 5550m. Le manque d’oxygène couplé au souffre qui nous arrive en pleine gueule n’est pas simple à gérer. Mais la vue, la vue !!! C’est époustouflant. Encore quelques pas et une mauvaise blague de Ashkan qui nous dit qu’on en a encore pour trente minutes (blague incomprise, probablement dû à l’altitude qui nous a rendus stupides). Soulagés d’apprendre que le sommet est là, l’émotion nous prend. On se serre dans les bras. Nous abandonnons quelques larmes, des larmes de fierté et de soulagement, des larmes d’une inexplicable paix, larmes de douceur.
Nous aurons mis 6h à atteindre le cratère.
Nous sommes sur le plus haut volcan d’Asie et sur la plus haute montagne du moyen orient. Comme par magie, nous sommes soudainement pleins d’énergie et courons d’un bout à l’autre du cratère prenant masse photos et encrant profondément ce souvenir dans nos mémoires. Photos de groupes avec caméra digitale, photos de groupe avec caméra analogique, photo de groupe avec téléphone : tout y passe.
Nous sommes en pleine exaltation.
Vient le moment de redescendre. L’énergie est de retour, on repart presque en courant, sauf Fahrid dont les genoux souffrent. Zara ouvre la marche et prend un rythme de dingue qu’on ne lui connaissait pas. Le seul problème c’est qu’elle a pas vraiment l’air de savoir où elle va et on se retrouve vite sur un pierrier où notre équilibre est précaire. Tobi, Stephan et moi voulons suivre le chemin ouest mais Zara nous l’interdit, elle veut qu’on la suive sur son pierrier de m*rde. Je suis hyper saoulée parce qu’elle ne sait clairement pas où elle va et que ce chemin est clairement plus dangereux que celui qu’on voulait prendre. On tombe plusieurs fois, glissant dans les cailloux, sur une pente extrême. Elle est têtue cette Zara.
Fatiguée, je ne fais pas beaucoup d’effort pour cacher mon avis sur le chemin. Je trouve stupide et dangereux de nous faire passer par là alors que l’on a déjà marché toute la journée et pas dormi pendant deux jours. Tobi est derrière nous et peine, il est tout aussi saoulé et décide de prendre un rythme bien lent pour sa sécurité et pour exprimer son mécontentement. On laisse Zara prendre les devant et finissons par rire de cette descente. Nous tombons encore quelques fois, puis le chemin perd enfin de son inclinaison.
Nous voilà de retour au camp de base. Nous faisons une sieste en attendant Fahrid et Ashkan. Stephan, Tobi et moi avons vraiment envie de redescendre le jour même à 2000m. Nous voulons pouvoir dormir. Quand Fahrid arrive, il rêve juste de dormir tout de suite et ne veut pas descendre. On s’arrange alors pour former deux équipes. Fahrid et Ashkan passeront encore une nuit au camp de base, tandis que nous autres descendront de suite. Vite, nous préparons nos affaires et descendons. Zara mène la marche, c’est limite si elle court, mais on suit. C’est magnifique, le soleil se couche.
Nous devions le faire en 4h si nous avions un bon pas. C’est en 2h15 que nous l’avons fait, les derniers mètres à la frontale. Les jambes douloureuses, nous atteignons Gosfandsara. La nuit est tombée, notre jeep nous attend et elle est encore plus pourrie que celle de l’aller.
On a l’impression qu’une des roues est à plat. Apparement pas. On est secoués de partout, je ne suis pas convaincue que l’on s’en sorte vivants. Le chauffeur va vite, je ne comprends pas comment il fait pour ne pas nous mener dans le talus. On a de la musique traditionnelle à fond, pas de ceinture et pas d’air bags, bien sûr. On atteint finalement la route goudronnée après une bonne heure à se taper la tête contre les parois de la jeep.
Là, notre chauffeur s’arrête et ne veut pas nous emmener jusqu’à notre auberge. Ça a tout l'air d’un malentendu entre lui et l’agence. Zara est ferme et marchande avec force. Le chauffeur finit par céder et nous emmène au pas de porte de l’auberge. Il est 20h mais il pourrait tout autant être 3h du matin. Zara nous cuisine un repas avant que l’on se plonge dans nos lits pour une nuit fort réparatrice. Le lendemain, c’est retour à la capitale avec des souvenirs fous pleins la tête et un grand sourire au visage.
C’est Ashkan qui conduit et je suis certaine qu’il a touché une voiture à un moment - c’est normal en Iran. Il nous dépose devant l’auberge de Téhéran.
Quelle aventure !
Magnifique ! Bravo! Et tellement étonnant de ne pas voir de neige à de telles altitudes! Ps: Est-ce que ta maman ne t’a jamais dit de boire assez?
Ps 2: Bravo d’éduquer ces messieurs!