Je me réveille face à une splendide vue. J’ai le lac face à moi, quelques sommets enneigés et les nuages donnent une atmosphère toute spéciale au lieu. Il fait très froid. Je dois porter mon bonnet. Ce matin, j’ai droit au luxe d’une douche après une une semaine sans (excepté les lingettes pour bébé et l’eau des lacs bien sûr). Une douche chaud même, car la gentille dame de la réception m’a exprès fait chauffer de l’eau ce matin.
J’ai beaucoup de peine à me motiver. La tête est plus à s’allonger sur la plage avec un bon bouquin et emmitouflée dans mon sac de couchage, vue sur le lac. Mais l’envie d’arriver à Bariloche pour faire pression sur Miguel pour qu’il construise mon vélo plus vite est plus forte. Je me mets donc en route.
Je dois user d’astuces pour avancer. J’ai les jambes lourdes, et je connais bien cette route ce qui enlève le charme de l’aventure, un. Il y a du trafic, beaucoup.
Et puis c’est le retour du vent. C’est comme si je revenais en Patagonie alors que je ne l’ai officiellement jamais quittée. Une minute j’ai le vent de dos, une minute je l’ai de face. A ne rien y comprendre, surtout quand la route ne tourne pas. Le vent vient de tous les côtés, un mystère. Je chante, écoute de la musique, puis ai besoin de silence et rebelote.
Les camions qui me dépassent brutalement en me rasant de près sont maudits sur plusieurs générations, souvent. Les quelques automobilistes qui me respectent se font canoniser par mon humble personne.
Je cherche désespérément l’ombre d’un puma dans la pampa et la steppe. Je ne vois rien. Il y a des aigles, certes. Avant d’entrer dans la zone urbaine à quelques vingt kilomètres de Bariloche, je m’offre une pause avec une vue splendide sur la ville.
J’y retrouve le panneau que l’on voit partout, celui qui signifie à qui veut l’entendre que les îles Malouines (Falkland) appartiennent à l’Argentine (et non au Royaume-Uni). C’est un conflit qui dure depuis des années, alors même que l’Argentine à perdu la guerre face à la Grande-Bretagne pour un coût humain important. Officiellement, c’est un territoire anglais…mais même les Nations Unies ne semblent pas convaincues puisqu’en 2019 encore, elles demandaient aux deux nations de se mettre d’accord sur la question. A savoir que l’Argentine revendique aussi une partie de l’Antarctique et d’autres îles.
En parlant d’histoire, l’Argentine fut une terre d’accueil non seulement au XIXe siècle lorsque des allemands, italiens et suisses s’y sont installés, mais aussi lors de l’après-guerre, lorsque les nazis tentèrent de fuir l’Europe. En effet, on sait aujourd’hui que le régime de Juan Perrón a non seulement accueilli mais aussi protégé bien des nazis et certains d’entre eux vivement des jours paisibles à Bariloche. Le SS Erich Priebke y avait une épicerie, Joseph Mengele y passa son permis, Adolf Eichmann y vécut… Une page de l’histoire dont les argentins ne m’ont jamais parlé. J’ai eu droit une fois à une discussion déstabilisante avec un Chilien qui me demandait ce que je pensais d’Hitler. Poser une telle question en Europe me parait être simplement impossible ou intolérable. Il a semblé d’accord avec ma réponse et m’a raconté qu’Hitler avait fini ses jours dans une maison à Villa Angostura (Argentine) face au lac. En fait, il s’agit là d’une théorie du complot puisqu’Hitler s’est suicidé dans son bunker. Mais dans la région, les gens semblent assez convaincus de cette version de l’histoire ! Peut-être des nazis ont-ils bien vécu ici…qui sait ? mais Hitler, cela semble impossible.
Bref, j’entrais donc pour la deuxième fois dans cette petite Suisse qu’est Bariloche, avec son lac, ses stations de ski, ses chocolats et ses fondues. En effet, Bariloche a été fondée par des Suisses en 1902. Les premières traces humaines remontent toutefois au néolithique, avec la présence des Tehuelches et des Puelches, des autochtones (on évitera d’utiliser le terme indigène, un mot chargé par son histoire coloniale, cf. régime de l’indigénat etc.).
J’arrive enfin dans San Carlos de Bariloche et traverse les huit kilomètres qui me séparent encore de la maison de Miguel. Je plante ma tente dans son jardin et me sens à nouveau comme à la maison. Il y a déjà bien commencé à fabriquer le cadre de mon vélo, ça me réjouis.
Je suis fatiguée et ne tarde pas à me mettre au lit. Les jours qui suivent, je suis prise d’une flemme magistrale et ne met mon corps en mouvement que pour faire de la lessive, acheter du chocolat (8km de vélo tout de même pour un tel achat), cuisiner des crêpes, encore des crêpes, toujours des crêpes. Et faire de la pizza aussi, et d’autres crêpes.
Je teste aussi le fameux chocolat chaud de chez mamushka : le meilleur que j'aie bu/mangé de ma vie, car fabriqué avec du vrai chocolat. Je discute beaucoup avec Miguel qui est globalement passionné par deux choses ; les vélos (et donc les cartes pour s'orienter) et l'émigration Suisse en Amérique du Sud. Il me donne pleins de conseils de route et je planifie presque 3000km grâce à lui (bien sûr, tout changera en route, comme d'hab).
Je rencontre aussi une cyclo française, Claire, qui m'a contactée via instagram (c'est pas pour rien que ça s'appelle un réseau social). On va manger un bout et boire une bière avec un cyclo argentin qui l'accueille à Bariloche et qu'elle a rencontré en Bolivie (ou au Pérou, je ne sais plus). Je sors mon meilleur espagnol et elle est là pour conjuguer les verbes à ma place : parfait. ça me fait vraiment plaisir d'avoir pu la rencontrer avant qu'elle reparte en direction du Sud (quelle originalité...). Belle rencontre !
Martijn, le hollandais rencontré à El Chalten avec son frère est aussi à Bariloche et ajoute sa tente au jardin de Miguel. Il a perdu son fidèle acolyte qui n'avait plus de temps à disposition et est rentré aux Pays-Bas. Je lui fais bien sur des crêpes.
Après quatre jours à ne rien faire, je me décide à faire le dénomé "Circuito Chico", un petit tour autour du lac Nahuel Napi. Je me dépense à fond et réalise une boucle de 50km en moins de 2h30. Je reviens épuisée de cette bonne fatigue du sport comme on aime.
Emportée par un élan de motivation sportive, je me motive à monter au Refugio Frey, sur les conseils de Diego. Cette randonnée assez touristique est censée prendre huit heures de marche aller-retour. On connait les statistiques fallacieuses argentines et chiliennes et je me mets en tête de faire la boucle en moitié de temps. Je monte en 2h30 par le long chemin que Diego m'a recommandé de ne pas prendre, car "long pour rien". Non que j'aie eu envie de marcher plus, mais ne connaissant par bien les bus, c'est là que mon bus m'a ammené. Bien m'en a prit ! Je me retrouve seule sur ce sentier à travers les traces de renard (toujours pas de puma en vue malgré mes oreilles, yeux et nez à l'affut, et oui un puma ça pue parait-il) et les arbres aux feuilles rouge-orangé. J'ai une belle vue sur le Lac Guttierez. C'est le bonheur. Je franchis les derniers mètres dans une cuvette entourée de montagnes aux pics de cathédrales gothiques (tiens, tiens, serait-ce pour cela que Cerro Cathedral s'appelle comme ça ?) et dans ces tons automnaux. J'arrive au refuge et fais quelques mètres de plus pour me poser au bord d'un lac de montagne avec Cerro Cathedral en face de moi pour pique-niquer : royal.
Après m'être offerte un brownie énorme au refuge, je me motive à redescendre sur Villa Cathedral. Pour la descente, je prends le chemin le plus court (qui n'est pas si court à la descente puisque c'est du plat une bonne partie du chemin). Je suis ravie de ce choix de boucle (qui n'en est pas un puisque je suis montée dans un bus au hasard) et profite d'une merveilleuse vue en passant par un pont un peu dangereux à mon sens puisque sur du vide (bon c’tait pas une falaise non plus le truc hein). En 2h15 je suis en bas et doit malheureusement attendre plus d’une heure le bus puisqu’il n’y en a que quelques-un par jour. ça me permet de faire ami-ami avec des canadiens qui ont la fameuse carte de bus pour payer les trajets. Je leur paye cash mon trajet tandis qu’ils payent pour moi avec leur pass. Je rentre ravie de cette balade, mais bien fatiguée, chez Miguel.
Avec Martijn, on va aussi manger en ville avec Manon et Hugo que nous avons chacun rencontré de notre côté. Pour les fidèles lecteurs, ce sont eux que j'avais rencontrés à Puerto Natales et Hugo m'avait fait les meilleures crêpes de ma vie. Ils m'avaient d'ailleurs reboosté niveau motivation qui n'était pas franchement élevée. Eux repartent plus au Sud pour ce qui me convaincs que leur choix de route n'a aucun sens, mais je me réjouis de les recroiser plus au nord. Et voilà qu'après tout ce temps, mon nouveau vélo se créé. A Pâques, Miguel, sa famille et des amis font une assado dans le jardin (mais c'est une coïncidence que ça soit pour Pâques, ils ne le fête pas). Je profite du barbecue pour griller des légumes et on passe un chouette moment. L'après-midi, je profite du soleil pascal et me repose tout en sachant que je pourrai repartir mardi sur la route. En effet, le lendemain, mon nouveau vélo est prêt et elle s'appelle Alba. Et oui, si vélo en français est un nom masculin, en espagnol c'est un nom féminin. Une nouvelle aventurière est née et elle a la classe.
Joyeuses fêtes de Pâques !
A voir, il y a un baptême pluvial pour Alba!