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Photo du rédacteurLouise Perriard

Dénivelé, frontière et coup de gueule

Résumé : 492km

J-1 - 1190m D+, 105km

J-2 - 1530m D+, 91,8km

J-3 - 800m D+, 94,1km

J-4 - 730m D+, 45,7km

J-5 - 1750 D+, 80km

J-6 - 670m D+, 74,4km


Je me mets donc en route, tout en sachant que ce col montagneux sera la premier gros dénivelé effectué en aussi peu de kilomètres de ce voyage. Le ciel est menaçant et l’air frais, mais j’enlève vite une couche en attaquant la tranquille montée. Les gros camions sont présents, car c’est un passage frontière fréquenté, mais le trafic est étonnamment tolérable.


Les pourcentages indiquant les côtes augmentent, mais la motivation est là et l’idée d’échapper à la pluie en franchissant la montagne me plait.



Je chauffe bien les cuisses sur 45km et 700m D+. J'entre dans un parc national (gratuit, Ô miracle) et me fait vite une salade de tomates pour utiliser mes fruits avant la frontière. La pluie commence à me rattraper, mais les gouttes sont fines et je n'ai pas froid avec mes montagnes russes.


Je passe à travers de jolis paysages et une très belle cascade.





Enfin, j’aperçois le poste frontière Chilien. Il est 16h15. Je dépasse la file de camions et vais au guichet présenter mon passeport pour obtenir le précieux tampon de sortie. "no es posible pasar hoy". Je crois rêver. Comment ça, c'est pas possible de passer aujourd'hui ? C'est trop tard pour passer à vélo, me répond le douanier. Je lui explique que j'ai tout ce qu'il faut pour dormir en route, que j'ai un bon rythme et peux même arriver au poste frontière argentin aujourd'hui et que bon... c'est n'importe quoi ! Il me dit qu'il ne peut rien faire mais que je peux essayer de parler au "coordinator". J'imagine que c'est le chef. Je vois le temps filer à mesure que je discute. Je trouve le coordinator et lui explique la situation. Il hésite beaucoup, pendant ce temps, le temps s'écoule. Il n'aime pas que je sois seule. Il trouve dangereux. ça me fait une belle jambe. Il me dit qu'il y a 40km de no man's land entre ce poste et le poste frontière argentin. Il ne pense pas que j'aille le temps d'arriver de l'autre côté avant la fermeture du poste pour la nuit. Je lui dit que je pense y arriver, mais que je peux toujours dormir entre sinon. Impossible de dormir entre, me répond-il. Il ne sait m'expliquer pourquoi. Il finit par appeler par radio le poste frontière argentin pour leur demander leur avis. La première chose qu'il leur dit, c'est ma nationalité. La deuxième, mon sexe et la troisième, le fait que je sois seule. Je me demande bien pourquoi il insiste sur le fait que je suisse-esse. Je ne vois pas ce que ça a voir avec ma traversée de frontière. Les argentins répondent très clairement "s'il te plaît, ne la laisse pas passer aujourd'hui. C'est donc foutu. De toute façon, tout cela a prit bien du temps. La pluie augmente et les douaniers -très sympas malgré leur paranoïa de sécurité - me désignent un endroit où planter ma tente. Comme le poste frontière est dans le parc national, je plante ma tente dans le parc national. ça n'aurait donc strictement rien changé de dormir au milieu des quarante kilomètres... Très irritant cette histoire.


Le coordinateur m'apprend que la frontière est fermée à partir de midi pour les cyclistes. Je crois à une blague et éclate de rire. Voyant son air sérieux, je me décompose et lui répond "serio ?" - si, serio. Quel sketch cette douane.


Je profite au moins de l'électricité, de l'eau et du wifi et attend que la journée s'achève. Et voilà qui n'arrive pas tout sourire ? Un cycliste. Seul. Hollandais (apparemment la nationalité a son importance). Les argentins ont donc laissé un cycliste passer quelques heures avant, donc à peu près quand je voulais passer. Il faut savoir que comme il s'agit d'un col, le dénivelé est à peu près similaire des deux côtés. Qu'est-ce qui leur a fait accepter le passage de ce cycliste ? le fait qu'il soit hollandais ? Ou qu'il s'agisse d'un homme ? Encore une fois, très irritant.


Je discute avec lui. Il est très sympa et on échange des informations sur les routes de chaque côté. Quand je lui raconte ma mésaventure avec les douaniers, il trouve l'histoire fâcheuse et ajoute, à mon plus grand étonnement, que je suis l'une des premières cyclistes solo femme qu'il rencontre. Il ajoute "quel courage vous avez"!

Je suis bouche bée. Je ne comprends pas cette réaction. ça me travaillera plusieurs jours. Pourquoi diable est-ce qu'il faudrait avoir plus de courage pour partir seule à vélo en tant que femme plutôt qu'en tant qu'homme ? J'avais déjà discuté de cette notion de courage avec quelques personnes. On m'a beaucoup dit que j'étais courageuse, toujours de manière très bienveillante. Parfois, ça me met mal à l'aise, parce que je vois bien que ce que l'on considère de courageux, c'est parfois d'être une femme seule qui voyage. Et ça, ça me dérange profondément. Ce qui est courageux, c'est de partir. Partir à l'inconnu. Partir à vélo. ça d'accord et je prends avec plaisir le compliment. Mais je regrette, il faut arrêter de faire croire que l'on voyage dans un monde hostile. Ma condition de femme est ce qu'elle est et ça ne change rien que je sois en Suisse ou en Argentine. Le sexisme est présent dans les deux pays, mais ça ne fait pas de mon voyage un danger du fait que je suis une femme. Ou alors on devrait trouver courageux le fait qu'une femme en suisse sorte dans la rue. Je doute que quelqu'un partage cette opinion. Bien sûr, il faut essuyer les remarques paternalistes (dont les "tu n'y arriveras pas"), les quelques remarques sexistes, les commentaires étonnés ("attends, mais tu es SEULE ?!"), etc. Mais il ne s'agit pas là de courage, c'est le quotidien des femmes dans le monde entier. La société fait intégrer cette idée qu'il faut du courage - en tant que femme - pour voyager et je trouve cela nocif car la voyageuse doit alors utiliser son énergie à rassurer...tout le monde. On construit une sorte de cage autour de la voyageuse et on lui dit : "reste chez toi, c'est trop dangereux dehors".


Voilà pourquoi j'essaie désormais de définir ce que je trouve courageux dans un comportement.


C'était mon coup de gueule, retour au poste frontière:


J'ai dit au-revoir à mon collègue hollandais - qui m'aura permit de réfléchir bien trois jours de vélo sur le sujet, et c'est tout à son honneur) et me suis installée dans ma tente, la pluie s'acharnant sur mon sort. Prête à aller au lit, j'entends un mec qui vient près de ma tente - surement un chauffeur de camion - et qui commence à discuter. Très comique comme situation quand tu parles à un inconnu qui se tient du mauvais côté de ta tente. Il me propose de manger un repas chaud avec ses potes. Je refuse, car j'ai déjà le ventre plein, que j'ai aucune envie de pointer mon nez sous cette pluie battante et que je suis crevée. Et ensuite je m'en veux. et si je venais de claquer la porte au nez à une de ces fameuses anecdotes de voyages dont tous ces cyclos-voyageurs me parlent tant avec des locaux ? Et bien tant pis, le voyage, c'est aussi de faire des choix. Et bien ça m'a permit d'appeler Claire à l'autre bout du monde, et ça, ça n'a pas de prix.


Le lendemain, je me réveille à 8h, en même temps que le soleil et que la frontière. Il fait un froid glacial et je dois mettre toutes mes couches thermiques ainsi que gant et bonnet.






Au moins, la vue est sympa.




Je fais tamponner mon passeport sans soucis et me met en route. J'attaque directement la montée, mais je mets du temps à me réchauffer, car le thermomètre est en dessous de zéro. J'ai les pieds frigorifiés, mais le reste du corps se réchauffe en même temps que le dénivelé défile. Je croise un renard et découvre un paysage splendide sur quarante kilomètres. C'est un challenge physique pour moi, surtout après ces derniers jours intenses. J'essaie de manger du sucre tout le long de la montée pour ne pas finir sur les genoux.






Je fais énormément d'arrêts photos et après des montées entre 10 et 14%, j'arrive enfin au sommet du col. je suis très proche de la limite avec la neige et je sens le frais me mordre le visage.









La descente est toute aussi pentue que la montée et je dévale bien vite ces vingt kilomètres me séparant encore de l'Argentine administrative.




Je passe la frontière sans problème et sans même qu'on vérifie mes fruits et légumes. Me voilà de retour sur la ruta de los siete lagos que je connais bien. J'ai encore un peu de montée avant de redescendre sur Villa Angostura. Je me réjouis d'atteindre ce village pour y vider leur stock de nourriture. Je suis affamée. J'ai un mal de tête qui commence et je me force à boire de l'eau - m'arrêter ensuite... - boire de l'eau - m'arrêter ensuite - boire de l'eau... vous avez compris l'idée.




Enfin, j'arrive au village se trouvant à une petite centaine de kilomètres de Bariloche. Je commande une énorme pizza et un chocolat chaud et m'affale éternellement sur ma chaise. Je suis pas au meilleur de ma forme, car je n'ai clairement pas l'habitude de faire autant de dénivelé en si peu de kilomètres. Problème, il me faudra encore pédaler une dizaine de kilomètres si je veux planter la tente. Je dois d'abord reprendre du poil de la bête et c'est finalement un coca qui fera disparaître ma céphalée (ah, le coca...). Je reprends la route avec le coucher de soleil à mes côtés et m'arrête à un camping vide juste avant que le jour ne s'éteigne. C'est le plus beau camping que j'aie vu, un spot incroyable. Je profite du ciel merveilleux pour faire quelques photos et laisse mon corps reprendre des forces. Journée record de déniveé : 1750m D+ pour 80km.









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3 commentaires


En fin de compte, c’était justifié qu’on ne te laisse pas passer? Quand je vois les efforts fournis, ca peut se comprendre…

Mais alors on aurait presque dû interdire l’accès à qqn venant d’un plat pays!

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Louise Perriard
Louise Perriard
08 avr. 2023
En réponse à

J’aurais pu dormir au milieu… et j’aurais pu le faire avant la fermeture de la frontière !

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Josias Heubi
Josias Heubi
08 avr. 2023

Bravo pour cette performance incroyable 😲 terminer par un col en plus du reste wow!!

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