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Photo du rédacteurLouise Perriard

Immersion dans une famille iranienne

Dernière mise à jour : 4 oct. 2022

Le repas de midi terminé, Sajjad semble vouloir échapper de toutes les manières possibles à sa famille. Ainsi, un couple d’amis d’enfance vient nous chercher et nous emmène à travers Khoy visiter la ville. Sajjad semble heureux de ne pas passer l’après-midi dans sa famille et d’autant plus content de retrouver ses vieux amis. On m’emmène donc d’abord voir la tombe de... oups, je me souviens plus de qui... quelle honte Louise !

 Qu'importe...


En voiture, un exemple flagrant de taarof : le pote de Sajjad lui propose de lui donner sa nouvelle voiture lorsque Sajjad s'extasie du modèle. Il est évidemment attendu de lui de refuser cette proposition, ce qu’il fait.

 

Ensuite, on se dirige vers la tombe de Shams Tabrizi, le poète persan (instructeur spirituel de Rumi) ainsi que son minaret. Malheureusement, la porte est fermée à clé à cause d’un chantier ayant lieu à côté. Mes guides demandent à ouvrir la porte, mais personne n’est là. On leur apprend qu’il faudrait réessayer plus tard. Sans perdre une minute, on m’emmène tester des spécialités à base de sucre : des glaces, des baklavas et autres délices sucrés dont le nom m’échappe. Un autre couple d’ami et leur garçon s’est ajouté à l’équipe. Ça parle uniquement farsi et je fatigue très vite. Personne excepté Sajjad ne parle anglais et je m’ennuie un peu. On me traduit un mot sur quatre, alors que je vois bien que l’on parle de moi, ce n’est pas des plus agréables, mais ils s‘occupent tellement bien de moi que je n’ai, une fois encore, pas à me plaindre. Nous retournons ensuite sur la tombe de Shams et trouvons cette fois un ouvrier qui est d’accord de nous ouvrir – après que Sajjad a négocié et utilisé la carte du « c’est une touriste qui vient visiter ! ». Séance photo près de la tour. Ensuite, on m’emmène dans les hauteurs de la ville pour voir la vue (et faire une autre séance photo près d’une statue immonde qui ressemble à un estomac/une flasque). Je suis crevée, mais la journée est loin d’être finie. L’équipe veut s’arrêter à un bar à shisha, ce que l’on fait. Du thé pour tout le monde, une shisha bien sûr et des discussions en persan qui semblaient passionnantes – mais dont je n’ai évidemment rien saisi. Je m’ennuyais sérieusement à ne rien comprendre à ce qui se passait, quand tout à coup Sadjjad propose de faire une balade. Je suis partante évidemment. Seules les femmes se lèvent : la femme du copain d’enfance, la fille de l’autre couple et moi-même. Qu’est-ce que cela signifie ? je comprends avec dégoût que les mecs ont décidé qu’il était temps pour eux d’avoir une discussion entre hommes et qu’ils nous envoient littéralement balader. Une fois encore, j’adore le patriarcat. Je suis tellement choquée que je ne dis rien. Nous nous retrouvons donc les trois à ne pas savoir où aller. Sevda voit soudain une balançoire et veut absolument que j’en fasse. Je suis extrêmement gênée. Je réalise que les balançoires sont potentiellement quelque chose qui n’est pas lié à l’enfance ici. La jeune fille qui nous accompagne et dont le nom m’échappe veut me pousser. J’ai l’impression que ça dure des heures, je suis terriblement mal à l’aise. Je réussis à l’arrêter et la pousse à mon tour. Sevda propose ensuite de s’asseoir quelque part – je bénis cette décision. On se pose alors et elle sort googletraduction pour enfin discuter vraiment. Je ne sais pas ce qu’il me prend, mais je lui pose des questions archi personnelles sur le mariage. Elle semble ne pas être gênée et me répond volontiers. Elle m’apprend donc qu’en Iran, les hommes choisissent qui ils veulent marier et que les femmes doivent accepter cette décision. Quand je lui demande si elle veut un autre enfant elle me répond très sèchement que non. Elle m’apprend qu’en Iran, ne pas avoir d’enfant signifie ne pas en être capable et est donc très mal vu. Je comprends donc qu’elle n’a jamais voulu de son fils. Elle me demande quand je pense être un bon âge pour se marier. J‘hasarde : « autour de trente ans ». Quand je lui demande ce qu’elle en pense, elle me dit « bien après trente ans ». Elle aurait eu envie de voyager avant de se marier, mais ce n’est pas possible ici, ta famille ne te laissera jamais partir me dit-elle. Elle n’est pas jalouse, mais donnerait tout pour avoir cette même chance de voyager seule partout. Elle est simplement triste. Elle n’est pas libre.

 

Je suis tellement triste de l’entendre parler. Ça me déchire.

 

Plus tard, en discutant de cela avec des occidentaux, je réaliserai que cette discussion aura peut-être au moins permis à Sevda de parler de cette douleur et de cette solitude. Il n’est probablement pas possible d’en parler autrement, même à d’autres femmes d’ici.

 

Elle me demande finalement depuis combien de temps je connais Sajjad. Je lui réponds que l’on s’est rencontrés à Erevan deux semaines avant. Elle est surprise : « deux semaines seulement ? ». Je comprends qu’elle nous pense mariés. Je lui explique que l’on est amis « Dust ». Elle éclate de rire.

 

Les gars reviennent vers nous au bout d’un moment et il est temps de dire au revoir aux amis de Sajjad.

 

Sajjad et moi retournons chez son oncle. Le repas est prêt et l’on me réquisitionne pour préparer le Abgoosht (ab veut dire eau et goosht veut dire viande) en deux étapes. En gros, il faut d’abord mélanger le bouillon au pain perse pour en faire une sorte de soupe et ensuite, il s’agit d’écraser le mouton et les pois chiches au mortier. Franchement pas mal, quoique le mouton est une viande un peu trop forte pour moi.

 

Je suis repue, on me force à encore manger du riz au lait aux roses de damascus. Puis, on me resserre. Sadjjan comprenant ma détresse m’apprends à dire « ça suffit " en farsi ; « Baste ». C’est facile, ça ressemble à l’italien. Ça me sera bien utile. Il m’apprend aussi à dire « je suis repue » ; « Man cir am », littéralement « je suis oignon ». Sa famille, quant à elle, apprend à dire « mange ! » en anglais. Un échange culturel.

 

J’essaie de traduire quelques remerciements sur google translate et d’échanger quelques mots, mais ça prend du temps et beaucoup d’énergie.

 

Après le repas, c’est l’heure du thé, du melon, des pêches. Un repas n’est jamais terminé. Je dis non à tout et on m’amènetout. J’en peux plus, mon ventre va exploser. Man cir am, man cir am. Baste, mamnoun.

 

Quand les conversations en farsi commencent à faire office de somnifère sur ma personne, je me retourne vers la fille de 6 mois de la cousine de Sajjad. Comme elle ne parle de toute façon pas, la barrière de la langue n’est pas un problème. On s’aime bien les deux, on se parle avec les yeux et les gestes et je la fais apparemment rigoler. Vers 1h du matin, il est enfin temps de se coucher. Les femmes dorment au salon, les hommes dans la chambre. De fins matelas sont installés au sol, sur les tapis. C’est comme ça que ça se passe en Iran. Les femmes discutent encore des heures, je peine à m’endormir et finis par tomber dans les bras de Morphée. Vers 6h30, elles sont déjà debout et je n’ai donc d’autre choix que de me réveiller avec elles. Comment diable font-elles pour dormir aussi peu et avoir autant d’énergie ?

 

Petit-déjeuner avant une journée qui tournera en marathon de visite familiale (et donc un marathon de nourriture). Mais d’abord, visite du Bazaar de Khoy et de ses caravansérails ainsi que de la porte de la ville. Sajjad, sur ordre de sa mère, veut absoluemnt me trouver des souvenirs. J’essaie de lui expliquer que j’ai un petit sac-à-dos minimaliste (mais j’évite par contre de le confronter à ses goûts un peu kitsch). Il ne veut rien entendre, mais par bonheur ne trouve aucun souvenir dans le bazaar qui n’est pas un lieu où beaucoup de touristes se rendent. Je n’ai quasi pas dormi et suis déjà épuisée lorsque l’on rentre chez son oncle pour dire au revoir et pour que la maman de Sajjad prenne les restes du mouton avec elle pour les cuisiner à Tabriz (alerte rouge me dit-on). Et ensuite, c’est parti pour une journée de sucreries et de thé pris chez tous les autres oncles et tantes, car si l’on visite un oncle, il serait malpoli de ne pas visiter les autres... Nous voilà donc en train de manger partout, et me voilà en train d’essayer de refuser des cookies persans, du melon, des gâteaux, des bananes, du sirop de rose extrêmement fort, des glaces... Baste, je vous en supplie. Et le repas de midi n’a pas encore été pris, j’angoisse à cette idée. On me dit que « je dois devenir plus grosse ». Merci mesdames, mais je sais quand mon corps a eu suffisamment à manger, et là je ne suis pas loin d’exploser.

 

Je finis par réaliser que les oncles et tantes de Sajjad pensent que l’on est mariés. Il ne fait pas grand-chose pou éviter ce malentendu et m’avoue ensuite que c’est un win-win : je découvre la vraie vie familiale iranienne et lui s’évite les réponses facheuses aux questions telles que « quand est-ce que tu te maries ? A quand des enfants ? etc. », car en Iran, avoir 30 ans c’est déjà tard pour se marier... Je m’en fous un peu d’être prise pour sa femme, ne comprenant de toute manière pas les conversations autour de moi.

 

Sonnette, autre tante, entrer, se voir proposer à manger, manger encore, sourire, ne pas comprendre ce qu’on me dit, sourire, voir les autres éclater de rire, ne pas comprendre, arrêter d’essayer de comprendre, prier pour une sieste, se réjouir d’être seule, être extrêmement reconnaissante de cet accueil, dire merci encore.

 

Chez l’un de ses oncles, c’est une autre ambiance. Six mois auparavant, leur petit-fils de 12 ans (?) s’est suicidé. Sajjad m'explique que le père de ce-dernier s’est divorcé et qu’ici c’est tellement mal vu qu’il est très difficile de s’en remettre au vu de comment la société considère le divorce. C’est extrêmement rare de divorcer en Iran. Sajjad ajoute que le père voulait se remarier et que c’’était surement la goutte de trop pour son fils. Je ne sais pas si cette explication est correcte ou si d’autres raisons ont poussé ce pauvre garçon au suicide, mais j’en ai des frissons.

 

Nous quittons les grands-parents endeuillés et allons chez une dernière tante pour y manger. Je suis déjà repue en franchissant la porte. On me fait boire de la bière sans alcool qui ne ressemble en rien à de la bière et on me force à manger et me resservir. A la télévision (une chaine étrangère...), on parle d’une jeune fille, Masha Amini, qui s’est faite battre par la police des mœurs pour avoir mal porté son hijab. Elle meurt des blessures infligees par la police. Des manifestations sont organisées à Téhéran. Je demande si c’est safe pour moi de m’y rendre, on me répond que c’est tout à fait safe, que j’ai juste à ne pas m’approcher des manifestations. Bien.

 

Il est ensuite temps de reprendre la route pour Tabriz. Sajjad décide de prendre le volant, malgré qu’il n’ait plus conduit ici depuis des années... euuuh sûr ? Apparement, c’est comme le vélo, ça ne s’oublie pas. De toute manière, je n’arrive pas à garder mes yeux ouverts de tout le trajet, je suis simplement épuisée. Il nous emmène à bon port et nous avons ensuite une heure pour nous reposer avant... un autre repas avec d’autres gens de sa famille du côté de Tabriz. JPP.


Cette fois, on va au restaurant. C’est à l’autre bout du monde (ou de la ville, mais c’est ressenti comme pareil). Heureusement, Sajjad n’est pas le seul à parler anglais et je peux un peu discuter avec les gens autour de moi, même si leur anglais est limité. Rien que faire du small talk me fait plaisir, j’en pouvais plus de ces repas à rester silencieuse. Pendant que les autres prennent le thé, Sajjad veut absolument me montrer le signe « Tabriz » près du restaurant, pour y prendre des photos. Je le suis pour une séance photo des plus Kitsch. Nous retournons vers sa famille. J’ai vraiment l’impression d’être prise pour la femme de Sajjad et que ses tantes m’adorent. Je suis un peu gênée de ce quiproquo (qui n’en est pas vraiment un puisqu’il semble que c’était délibéré). L’une de ses tantes nous emmènent au lac artificiel. Elle met beaucoup du sien pour me parler via google translate et je lui en suis vraiment reconnaissante. On s’assoit ensuite pour prendre un dernier thé et des baklavas. On m’apprend qu’en Iran, chaque langue parlée par quelqu’un est une deuxième vie. Ils sont très impressionnés de mes connaissances linguistiques mais ne se rendent pas compte que toutes ces langues se ressemblent beaucoup. On me pose des questions un peu naïves sur la Suisse et j’y réponds avec plaisir. « Et les habitations ressemblent à quoi chez toi ? Plutôt des immeubles ou des maisons ? ».

 

Nous rentrons finalement vers 1h du matin, et je me laisse dormir un peu le lendemain matin. Sajjad doit travailler et je serai seule pour visiter la ville, ce qui me convient très bien. Son frère m’accompagne toutefois pour me faire (enfin) une carte SIM. Et heureusement qu’il était là, je ne m’en serais sortie seule qu’après plusieurs heures là-bas. Qu’est-ce que c’était complexe. Il faut montrer son passeport, car chaque carte SIM est associée à un passeport pour un maximum de 1 mois, ensuite, il n’est pas possible d’en avoir une autre. La dame qui s’occupait de ma carte ne lisait apparemment que le farsi puisqu’elle galérait à trouver où était ma date de naissance, mon nom etc. Quelle aventure. Finalement, elle me fait payer les quelques francs que cela coûte et me demande mon empreinte digitale ! Je suis consternée. On me demande mon passeport biométrique pour ensuite prendre mon empreinte digitale. Bienvenue en Iran.



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1件のコメント


Myriam Volorio Perriard
Myriam Volorio Perriard
2022年10月02日

Pour de l'immersion, c'est de l'immersion!

Quel bonheur de te lire! c'est tellement bien raconté et écrit!

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