Nous avons encore deux jours à passer à Tbilisi avant notre départ pour l'Arménie. Le premier est dédié au travail pour Henry et au blog/repos pour moi-même. J'avoue, j'ai de jolies courbatures et je suis crevée. Journée tranquille donc, accompagnée d'une Burrata à midi qui me re-fait.
Le soir, j'ai une rencontre toute spéciale puisque je vois Baptiste Hunkeler et Sera Pantillon, deux neuchâtelois en tour du monde que je n'avais jamais rencontrés avant mais à qui j'ai écrit tout de suite lorsque j'ai appris qu'ils étaient aussi en Géorgie ! Ils reviennent d'Arménie où ils ont passé une semaine en revenant...d'Iran ! Je passe une soirée merveilleuse en leur compagnie. Je les aide à redécouvrir les joies de la bière et du vin et nous partageons un très chouette repas à discuter voyage et...amis neuchâtelois en commun ! Ils ont les yeux brillants en me parlant d'Iran. Je sens une profonde nostalgie du pays qui me fait douter de mes plans indiens. On s'échange nos cartes SIM d'Arménie et de Turquie, et on se souhaite bonne route en sachant qu'on se reverra à Neuchâtel pour débriefer de nos aventures respectives. Quelle belle soirée !
D'ailleurs vous pouvez les suivre sur https://bara-sans-avions.com/ !
Le lendemain on se lève pour le check-out et allons prendre le café pour la dernière fois en Géorgie. Ce pays nous aura valu de sacrées aventure, mais je dois être honnête ; ce n'est pas mon coup de cœur. Venant de Turquie, il était certes difficile de rivaliser avec l’hospitalité des turcs, mais nous ne nous sommes pas sentis très accueillis dans la plupart du pays. Pour l'anecdote, on m'a même tapé le bout des doigts quand j'ai voulu payer dans une échoppe : je n'avais pas réalisé qu'il y avait un gars qui était là avant moi et pour me le signifier, la vendeuse m'a simplement tapé sur la main dans laquelle je tenais ma carte de crédit. Merci, mais un non aurait suffit. J'ai toutefois eu une bonne expérience à Juta où mon hôte m'a quittée en me faisant un calin...mais il m'aura fallu 24h pour percer le masque géorgien.
Quant à la beauté des paysages géorgien, elle en vaut le détour (avec un peu de planification, certes).
Nous passons notre dernière journée dans le pays au musée national géorgien (Janashia Museum of Georgia). Une première exposition présente les trésors archéologiques du pays, puis, en montant au quatrième étage, on entre dans le hall de l'occupation soviétique. Tout l'étage est consacré à l'histoire du mouvement d'anti-occupation et de libération nationale de la Géorgie et aux victimes de la répression politique soviétique tout au long de cette période. L’occupation de l’Abkhazie et de l’Ossétie du Sud par la Russie (20% du territoire géorgien) étant toujours d'actualité, on comprend mieux d'où vient la force de la russophobie ressentie dans la capitale. L'Arménie, pour ça, nous apportera un vent de fraicheur.
Notre visite terminée, nous profitons du temps restant pour nous poser dans un café-resto, lisons, nous reposons. L'heure venue, il est temps d'aller à la gare pour monter à bord de notre train de nuit en troisième classe (rien que ça).
Le standing est honnêtement de qualité pour une troisième classe. Nos camardes de wagon sont notamment une portugaise qui aimait -mais alors vraiment beaucoup- parler, ainsi qu'un russe et son ami tchèque (?). Le train part pile à l'heure et arrivera tout aussi ponctuellement. Notre nuit sera toutefois courte car nous avons la frontière à passer. Le premier arrêt est dédié au tampon de sortie géorgien qui nous prend pas moins de 2h à obtenir. Heureusement, nous pouvons rester à bord, les douaniers prenant des piles de passeports avec eux dans leurs bureaux. Ils ont un air très sérieux et vérifient à deux fois que nos photos correspondent à nos petites têtes. J'ai toujours un petit pincement au cœur quand je donne mon précieux document à un inconnu qui s'en va avec, mais jusqu'à aujourd'hui, il m'est toujours revenu.
Le train repart ensuite pour s'arrêter quelques 30' plus loin. Là, c'est une autre affaire. Les douaniers arméniens font le tampon dans le train et scannent les passeports avec leur petite machine portable. Je tends mon passeport au douanier qui me demande mon nom, information que je lui donne. Je me recouche, car ma tête est écrasée contre le plafond quand je suis assise, jusqu'à ce que le douanier me gueule dessus en me demandant "passeport". Je lui réponds que je viens de le lui donner et il m'ordonne alors de rester assise. Je suis convaincue qu'il m'a demandé ça juste parce qu'il n'avait rien à redire en réalisant que je lui avait déjà donné mon passeport.
J'obtempère en aillant très envie de le fusiller du regard, car mon acolyte tchèque, lui, n'a apparemment pas reçu l'ordre de s'assoir puisqu'il dort sur son lit. Ce cher douanier me redemande mon nom. Lorsque son collègue arrive pour scanner les passeports, mon douanier - qui décidément m'aime beaucoup - lui dit quelque chose en arménien qui m'était toutefois très clair. En me pointant du doigt, et en énonçant mon prénom il lui demande de mettre mon passeport en haut de la pile. Là, je suis prête à lui balancer l'art. 6 CEDH et tout le reste de la Convention s'il lui venait à l'idée de me demander de le suivre.
Heureusement pour moi, son collègue est bien plus chill et me stämpf sans doute aucun mon passeport et me le rend. L'autre me jette un regard noir, que -une fois encore - je lui aurais bien rendu.
Les douaniers partis, voilà que la nuit peut enfin commencer.
Arrivée à 6h55 en gare de Erevan. Notre auberge est à quelques minutes à pied et on s'empresse d'y continuer notre nuit. Au programme de la journée, visite à pied de la ville avec un passage obligatoire aux fameuses cascades. La chaleur est telle qu'il est difficile d'enchainer les visites. Les 37°C, on les sent. Heureusement, la bière est là pour rafraichir. Je la savoure d'autant plus car j'ai pris la décision d'aller en Iran (si un visa m'est accordé, Insh'Allah), pays dans lequel l'alcool est tout simplement interdit. Quant à Henry, son visa pour l'Inde est un tel cauchemar qu'il a abandonné cette option. Il hésite encore où aller, mais pour lui, l'Iran est un no go car le gouvernement Britannique place le territoire en rouge (et donc pas d'assurance, pas d'aide diplomatique et consulaire, etc.). On sait donc que ce bout de voyage ensemble touche à sa fin, mais on évite de trop y penser.
Le visa pour l'Iran requiert une assurance voyage, ce qui tombe bien puisque la mienne ne me répond pas et ne m'assure actuellement probablement plus. Ah les assurances...gros coeur sur Assura que je nomme la pire assurance de tous les temps.
Bref. Je finis par faire ma demande de visa (non sans souscrire à une autre assurance voyage juste pour l'Iran...). Doigts croisés.
En me baladant dans la ville, je passe à côté d'un coiffeur et rentre me débarrasser de quelques kilos. On se comprend pas bien, mais je m'en fiche un peu de ce qu'il fait tant qu'il me coupe les cheveux.
Le soir, on va voir un match de foot d'une équipe de première ligue (Pyunik Yerevan) contre FC Noah. Un 3-0 facile, même s'ils étaient pas franchement bons.
Le lendemain matin, le type qui tient notre auberge vient me voir en me demandant d'aider Henry. Je ne comprends pas ce qu'il se passe.
Henry m'explique qu'il est tombé dans les pommes et qu'il se sent pas bien (décidément, on fait une belle paire). Il a de la fièvre et reste au lit la journée. On doit changer d'auberge ce jour-là, tout en restant dans Erevan. On profite donc d'un moment où il se sent mieux pour faire le déplacement. Heureusement, j'ai une trousse de secours digne d'une pharmacie et j'ai de quoi guérir à peu près n'importe quoi (merci Claire <3). Pendant qu'il dormira ces deux prochains jours, j'en profiterai pour visiter un peu mieux la ville.
Place à la galerie nationale arménienne. Celle-ci abrite une exposition temporaire sur les impressionnistes arméniens, ce qui me ravit au plus haut point. Une seconde très chouette exposition est dédiée à un sculpteur arménien, Hakob Gyurjian. L'expo permanente est, quant à elle, fermée du à des problèmes de ventilations.
Je pars ensuite visiter la mosquée bleue de Erevan. L'extérieur de la mosquée est magnifique. Comme d'habitude,je me couvre les cheveux pour la visiter, rien d’impressionnant concernant l'intérieur et j'en ressors bien vite. Un homme m’aperçoit et il me demande s'il y a des toilettes à l'intérieur, je le renseigne et nous engageons la conversation. Il est accompagné de sa femme et de sa fille tellement adoraaaable. Il est hyper content que des non-musulmans soient intéressés par l'Islam et se tient à disposition pour répondre à mes questions. Ils viennent d'Arabie Saoudite et sont en vacances à Erevan. Sa femme comprend parfaitement l'anglais mais ne le parle pas et leur fille parle un mélange d'anglais et d'arabe. Lui, il a étudié 9 ans aux USA ce qui explique pourquoi il parle si bien anglais. On discute 45 minutes devant cette mosquée, ils m'invitent chez eux si je compte passer par les pays du golfe et je rends la pareille en les invitant en Suisse s'ils venaient à y passer dans les prochaines années. Jehad m'explique avec beaucoup de patience et de détails la différence entre les chiites et les sunites que je n'avais toujours pas comprise. Il m'explique que l'Iran est chiite, comme lui et sa famille (malgré que l'Arabie Saoudite est sunite). On parle de nos pays respectifs et j'ai vraiment honte de lui expliquer que les minarets sont interdits en suisse, je n'ose pas même lui parler de l'interdiction de la burka : ah la légendaire ouverture suisse. J'ai droit à un calin de sa fille dont je n'ai malheureusement pas bien saisi le prénom (Leïla ?) en partant.
Retour à l'auberge pour s'assurer que Henry est toujours en vie : tout va bien, il dort. Ma médecin préférée spécialiste en médecine tropicale m'a donné ses conseils, Henry devrait aller mieux dans les jours à suivre.
Le lendemain, laissant Henry se reposer, je pars pour aller visiter le mémorial du génocide arménien et son musée. C'est loin et je marche une bonne heure pour y parvenir. Je commence par le musée et je suis vraiment dans un état de choc en visitant. C'est terrible de penser qu'on ne nous en parle pas du tout à l'école. Je connaissais simplement l'existence du génocide arménien, sans savoir de quoi il s'agissait vraiment.
Le génocide arménien a été perpétré entre avril 1915 et 1923, deux tiers des arméniens vivant alors sur le territoire meurent à cause des déportations, famines et massacres de grande ampleur. Le parti au pouvoir à ce moment-là est celui des "Jeunes Turcs", c'est lui qui planifie et exécute le génocide qui coute la vie à 2 millions d'arméniens. Le parti au pouvoir cherchait à avoir un pays exclusivement constitué de musulmans. Les arméniens ne remplissant pas ce critère, ils ont alors été la cible de ce que l'on appelle parfois le crime des crimes, c'est-à-dire le crime de génocide. La visite du musée est très intense. Juste avant la sortie, une citation qui fait froid dans le dos : "qui se souvient aujourd'hui de l'extermination des arméniens ?" c'est Adolf Hitler qui s'adresse de cette manière à ses généraux la veille de l'invasion de la Pologne. Le siècle des génocides s'est ainsi ouvert en Arménie.
C'est une visite marquante, plus encore quand on sait que la Turquie persiste à nier l'existence du génocide. On comprend mieux pourquoi les relations entre l'Arménie et la Turquie sont si tendues. On comprend aussi mieux pourquoi l'Arménie est plus proche de la Russie que son voisin géorgien, la Russie à en effet permit aux géorgiens de s'y réfugier malgré la vie dure qui les attendait en Arménie russe.
Au cours de décembre 1914, Nicolas II de Russie visite le front du Caucase. En présence du chef de l'Église arménienne et aux côtés de Alexandre Khatissian, Nicolas II a déclaré : « Les Arméniens de tous les pays se pressent pour rejoindre les rangs de la glorieuse armée russe, et avec leur sang, au service de la victoire de l'armée russe… Que le drapeau russe flotte librement sur les Dardanelles et le Bosphore, que les Arméniens restés sous le joug turc puissent recevoir la liberté grâce à votre volonté. Que le peuple arménien de Turquie, qui a souffert pour la foi du Christ, reçoit la résurrection pour une vie nouvelle et libre… ». Au cours de la guerre, 150 000 Arméniens ont combattu dans l'armée russe.
Wiki ton serviteur qui t'explique pourquoi les arméniens sont friendly avec les russes et pas du tout avec les turcs.
On ressort bien secoué d'une telle visite. Alors un passage au mémorial et devant sa flamme éternelle est tout indiqué.
Concernant la reconnaissance politique internationale du génocide, la Suisse l'a reconnu en 2003, mais...pas si facilement. Je vous laisse lire cet article si ça vous intéresse : https://www.letemps.ch/culture/reconnaissance-genocide-suisse.
Un peu de repos auprès du malade après toutes ces émotions.
"Là, je suis prête à lui balancer l'art. 6 CEDH et tout le reste de la Convention", j'adore !!!!
Merci pour toutes ces informations et toutes ces nouvelles! j'étais en manque de blog!