Je pars donc vers la station de bus pour y trouver un marshrutka qui m'emmènera à Juta. C'est un petit village, mais la réceptionniste de mon auberge m'a dit que je pourrais trouver un bus qui m'y emmènerait. Elle avait pas l'air de vraiment savoir ce qu'elle disait, mais soit.
Sinon, je sais qu'il y a des bus pour Stepantsminda mais j'ai pas envie de devoir raouter une heure depuis là-bas pour aller à Juta.
Je demande donc par-ci, par-là où trouver le bon bus. Evidemment, personne ne parle anglais. On me répond souvent en Russe, comme si ça m'aiderait. -"Juta, bus ?" - Y'a pas de bus pour Juta, qu'on me répond. Un type qui semble être chauffeur me dit qu'il peut me trouver quelqu'un qui m'y emmène. Je le vois venir, il veut me proposer son pote taxi, non merci. Je n'ai pas l'art de dire non comme les géorgiens le font, d'un ton sec et cassant. C'est ainsi qu'il me suit quelques minutes en me répétant "Juta !".
Connaissant les lettres de l'alphabet géorgien composant le mot Juta, c'est-à-dire ჯუთა, je cherche désespérément ces lettres sur les véhicules autour de moi, mais rien.
Je trouve finalement un homme qui semble s'occuper du parking et qui est donc neutre sur le sujet. Il me montre du doigt un panneau en l'air "Stepantsminda". Suis-je bête, je n'avais pas compris qu'il y avait des secteurs selon les destinations !
Je vois des bus qui vont à Stepantsminda aussi appelée Kazbegui. Je demande au chauffeur s'il va à Juta. Niet. Toujours le russe comme réponse : je ne comprends que le mot "это" qui veut dire "c'est". Me voilà bien avancée. Je comprends finalement qu'il me faudra prendre un autre bus à Kazbegui, car aucun ne part d'ici. C'est donc parti pour 3h30 de bus qui se réduiront à 2h45 ; un record en Géorgie car ici les trajets, d'habitude, se rallongent. Ce court temps de trajet est du à la conduite ultra sportive de notre chauffeur qui semblait décidé à vouloir nous tuer. Heureusement, j'étais tellement fatiguée au début que je me suis endormie avant de réaliser à quel point le chauffeur était cinglé. C'est quand à trois reprises je me suis réveillée en sursaut à devoir me tenir au bord de la fenêtre pour ne pas tomber de mon siège - car il n'y a pas de ceinture dans ce pays (et une faute concomitante, une !) - que je commence à me poser des questions.
Comme quoi, inception disait vrai : on se réveille lors d'une chute et les freinages d'urgence du chauffeur étaient ressentis comme ça :
Dépassement de camion sur une route de montagne bien serrée avec des trous partout et proche de la falaise (apparemment cette route de montagne est potentiellement une autoroute au vu des panneaux, mais entre nous, c'est une route secondaire). Le chauffeur doit être à 100km/h parfois. Il y a une voie pour chaque direction, mais il ne semble pas avoir compris ça puisqu'il reste souvent à contre-sens, attendant que le camion en face s'approche vite et sans freiner pour se rabattre en freinant et klaxonnant pour qu'on lui fasse une place. Avant un virage, il dépasse aussi, mais il klaxonne - pour prévenir, vous comprenez.
J'ai cru y laisser ma vie trois fois. Et on est vraiment pas passé loin de se reprendre un énorme camion. Se cacher les yeux, encore une fois. Je suis en sueur quand on arrive à destination. Et ce n'est que la première partie d'une longue aventure.
Le super site internet que j'ai trouvé pour me renseigner sur ma rando est très clair, il n'y a pas de bus pour Juta, sauf le matin à 8h15 et à 11h15 organisé par une agence touristique. mais comme on m'a dit en entrant dans mon bus-corbillard que j'en trouverais un, j'ai de l'espoir. Leçon 1 : ne jamais écouter les géorgiens. Soit on te dit oui pour te faire plaisir, soit on te dit non pour que tu achètes quelque chose.
Ainsi, pas de bus pour Juta aujourd'hui, sauf que je veux commencer tôt ma rando demain, car je ne sais pas combien de temps elle me prendra (les sites suggèrent entre 9 et 12h de marche, c'est vachement large comme différence). En plus, j'ai un hébergement réservé là-bas...
Je vais donc demander à l'agence touristique s'ils n'ont pas un autre bus qui part aujourd'hui (il est 14h). On me répond non, puis peut-être, puis non. Je croise un couple d'espagnols qui veulent aller dans un village sur ma route, je leur propose de partager un taxi pour amortir la claque du prix. Ils acceptent tout sourire. Je négocie un prix et m'en sors pour 50 laris, c'est-à-dire 17.- CHF. C'est bien au-dessus de mon budget m'enfin you gotta do what you gotta do.
Je quitte donc Kazbegui avec mes acolytes espagnols qui parlent français (lui est à moitié québécois, elle l'a un peu appris a l'école). Le taxi les déposent au milieu de nulle part, lieu d'arrêt souhaité. Je continue ma route (non goudronnée, avec des trous partout et bossue évidemment) seule avec mon chauffeur de taxi. Je me suis assise derrière lui en prévision de ce moment, car c'est une façon de vérifier la route discrètement (inutile ici, il y en a qu'une) et d'avoir un minimum de contrôle sur la situation. Il me propose à trois reprises de venir m'asseoir devant, ce que je refuse poliment n'en ayant absolument aucune envie. C'est peut-être bête, mais c'est ces petites choses qui me font me sentir en sécurité. Il ne comprend pas et me demande dans un anglais approximatif de quoi j'ai peur. Je n'ai pas le temps de lui faire la liste et hausse les épaules. Il me demande d'où je viens. Il ne comprends pas le mot Switzerland, alors je lui dis que je viens de France. Là, il me dit "Vino !" et mime quelqu'un qui boit à la bouteille. Il touche son cou à droite et essaie de m'expliquer quelque chose mais je ne le comprend pas. J'ai la désagréable impression qu'il me propose un verre de vin. je suis pas du tout à l'aise et prie pour que cette route poussiéreuse aboutisse bientôt au retour de la civilisation. C'est sûrement un problème de communication, m'enfin j'étais contente d'arriver et de sortir de son taxi.
Je suis donc enfin au village de Juta, épuisée et stressée de la suite. La suite ? C'est découvrir cette rando tantôt côtée facile, tantôt côtée très difficile et à faire avec du matériel alpin. La suite ? C'est découvrir le village où j'arriverai après la rando, comment en sortir, où dormir et comment rentrer à Tbilisi. Pas de quoi se faire un sang d'encre, juste des questions existentielles.
Le village de Juta est en fait un hameau de quelques dix maisons. Évidemment, il n'y a pas de supermarché, pas d'ATM et mon hôte ne prend que le cash. Je n'ai rien à manger et rien mangé aujourd'hui et la journée de demain, c'est de la marche. J'ai de quoi payer mon sandwich de midi et ma nuit en cash, mais pas mon souper ni mon pique-nique de demain, encore moins un petit-déjeuner et on ne parle pas du cash à avoir pour le village d'arrivée de demain.
Mon hôte n'est pas archi accueillante, mais comparé aux géorgiens rencontrés jusque là, elle incarne l'hospitalité-même. Elle est compréhensive est accepte mes US dollars gardés précieusement près de mon passeport. Je bénis mes parents qui m'ont toujours conseillé d'avoir des dollars avec moi. Une première échappée du jeûne s'offre à moi, ce n'est que le début.
Je me repose et essaie de trouver des informations sur internet à propos de la rando de demain : Juta - Roshka via le Chaukhi pass. C'est une marche réputée pour être dans la région des "Dolomites géorgiens". Je trouve pas plus d'infos, mais télécharge le tracé gps (thank god, me dit le futur moi).
Je réalise être à moins de 6km de la frontière russe et prie pour ne pas me perdre le lendemain. Ce serait con de se retrouver du mauvais côté. Si vous connaissez mon sens de l'orientation, vous devriez réaliser l’ampleur du problème.
Je soupe chez mon hôte qui n'a rien de ce que sa carte propose, mais elle me concocte un super repas avec ce qu'elle a. Elle m'assure que l'eau est potable ici, je fais le pari de la croire.
Il fait frais, j'ai ma polaire. Normal, le village est à 2200m ce qui en fait l'un des plus haut d'Europe (mais d'aucuns contesteraient l'appellation Europe).
Je me mets au lit et me réveille dans le froid montagnard à 7h. Énorme petit-déjeuner fait par mon hôte, que je n'arrive pas à terminer. Je prends les restes pour mon repas de midi : parfait. Je quitte mon hôtesse qui m'offre un sourire en partant (c'est si rare ici !) et pars à l’assaut du col du Chaukhi qui trône à 3341m. 18km me séparent de Roshka et je pars donc d'un très bon rythme ne sachant pas trop ce qui m'attend.
Très vite, je me perds. Le tracé gps est très précis, mais pour retrouver ma route il faut traverser le ruisseau ce qui n'est pas chose aisée. Chemin retrouvé, mais pas pour longtemps, je me reperds. Je suis toujours en Géorgie, pas d'inquiétude.
Je finis par retrouver le tracé et ne le quitte plus. Il faut traverser une rivière, splotch un pied à l'eau. Voilà qui rafraichit dès le matin.
Je continue ma balade et suis émerveillée de ce qui m’entoure. C'est magnifique et tellement vert ! La flore ressemble à celle du Valais, je vois de la gentiane partout ce qui est non sans me rappeler Giétroz - la fleur ou la liqueur, à toi de voir.
Après un peu moins de 3h30 de marche, j'arrive au col à 3341m avec une magnifique vue sur le Mont Chani à 4451m (enfin, je crois que c'est ça, mais qu'importe, c'est joli).
C'est une longue marche, certes, et c'est très pentu, certes, mais pas de quoi en faire une rando "pour laquelle il faut absolument être équipé". Jusqu'au col, je suis quasi seule et c'est trop bien.
Et maintenant, prépare-toi à une montagne de photos.
La descente du col est pas simple. Je tombe deux-trois fois histoire de découvrir le terrain. Je fais un peu de patinage sur les petits cailloux et arrive sur un chemin plus stable. C'est tellement pentu qu'il faut courir ou tomber. J'ai l'air d'une vieille grand-mère qui court en trail avec un sac pas fait pour sur le dos. Cocasse. Les genoux prennent cher, mais ça permet d'aller plus vite aussi et le temps est précieux, surtout quand tu sais pas où tu vas atterrir. Quand j'arrive enfin sur un terrain où marcher ne veut pas dire s'éclater par terre, je me pose un moment pour reprendre des forces. La suite m'emmène près d'un lac d'un bleu magnifique et ensuite on perd de l'altitude en douceur.
Je remplis ma gourde à la source et là un type me propose de me porter mon sac à dos jusqu'au campement suivant. Je refuse poliment pour deux raisons. Tout d'abord, j'ai ma fierté et ensuite mon sac contient à peu près toute ma vie, à commencer par mon passeport. On n'offre pas son passeport à n'importe qui. Il semble pas se contenter de ce refus. Je lui assure que mon sac n'est "not heavy at all, really", ce qui est un peu embaumer la réalité, m'enfin... Il repart finalement.
Je continue ma descente jusqu'à arriver à Roshka à 15h pile. En comptant le temps de marche uniquement, ça m'a pris 5h20. Pas mal !
Là, stupeur. Le village fait la même taille que Juta. Pas d'hôtel, mais surtout, pas de marshrutkas !!!! Je rameute à peu près tout le village, c'est-à-dire dix personnes et leur demande comment rentrer à Tbilisi. On se moque de moi : Tbilisi ?! On me parle en géorgien et en russe, mais pas d'anglais à l'horizon. Un type me dit d'aller demander à quelqu'un quelque part. Je comprends le mot maison en russe et réalise qu'il me faut aller alpaguer le reste du village si tant est qu'il y ait d'autres gens. Un gars qui parle anglais finit par arriver. Il me demande combien j'ai en cash pour savoir jusqu'où ils sont prêts à m’amener. J'ai 85 laris en tout et pour tout - 28.-CHF.
L'un d'eux propose de m’amener non pas à la capitale, mais au village d'à côté pour ce prix. C'est du vol. Je ne peux pas non plus me permettre de ne plus avoir de cash avec moi car il n'y a aucun distributeur de billet dans la région. J'apprends que le prochain marshrutka part vendredi (on est mercredi) depuis le village d'à côté. Je désespère. Ils s'en foutent complètement de m'aider, ils veulent juste du fric. Le gars qui parle anglais comprend un peu mieux la situation, mais il a l'air d'être bloqué par les plus âgés, rois du village. Il me dit de faire du stop mais semble peu convaincu que je trouverai quelqu'un qui va à Tbilisi. Je prends donc la route, unique et continue de marcher pour 6km, une bonne heure de marche en plus. Je suis fâchée et fatiguée. Je tente d'arrêter deux voitures, sans succès. Je continue de marcher et arrive au village suivant tel qu'indiqué sur ma carte : il n'y a qu'une maison. Super. Je commence à un peu flipper car le vrai village qui suit est à 2h de marche et il n'y a probablement rien là-bas. La route principale est encore à 30' de marche. je deviens convaincue qu'il me faut faire du stop et espérer. J'ai un litre d'eau et des cookies : pas de quoi tenir bien longtemps et surtout, c'est la montagne et la nuit, il fait froid.
La route n'est évidemment pas vraiment une route, elle est de temps en temps coupée par un ruisseau qui la recouvre d'une bonne quinzaine de centimètres. Ah, la Géorgie.
J'entends une voiture arriver, tends le pouce. Plaques géorgiennes. Le chauffeur s'arrête, un autre homme est à l'avant et derrière deux filles d'une vingtaine d'années sont assises, ça me rassure. Il me dit de monter. Ils sont tous géorgiens, mais tous parlent russe entre eux. Je préfère, ça me permet de comprendre le sujet de discussion grâce aux mot internationaux, avec le géorgien, tu peux oublier. Les filles sont en fait des auto-stoppeuses aussi. L'une parle très bien anglais, quant au chauffeur, il le comprend mais le parle avec difficulté. Les deux hommes vont jusqu'à Tbilisi. J'ai envie de pleurer de joie. Ils acceptent de me garder jusqu'à la capitale.
La route principale n'est pas toujours goudronnée et pas tellement fréquentée sur ce tronçon. Je comprends que j'ai eu une chance de dingue. J'ai décroché la timbale, aimée des Dieux, t'appelles ça comme tu veux mais ce type m'a sauvée. Les deux gars respirent la joie de vivre et ont un rire très communicatif- Ils déposent les filles 1h plus loin et je continue avec eux jusqu'à Tbilisi. Comprenant que je n'avais pas de plan lorsqu'il m'a prise en stop, mon chauffeur ouvre de grand yeux et part dans un fou rire en terminant : you like risks. Il me dépose jusqu'à a station de métro à quelques minutes de mon auberge. Spasiba bolshoi, je lui répète.
Je rentre à l'auberge, prolonge mon séjour de deux nuits et rejoins Henry qui suit sa formation sur zoom. Je tarde pas à aller me coucher.
Réveil avec quelques courbatures et une journée chill en perspective.
Heureusement que Claire nous a dit qu'elle t'avait eu hier au téléphone, au moins on connaissait la fin !!! et tu étais bien rentrée !!! quel bol cette voiture !
La lecture de ce blog me fait transpirer…. Et je ne parle pas de chaleur… Mais le fait même qu’il y ait un blog indique que tu es arrivée à bon port. Malgré tout, j’ai des sueurs
Bénie des dieux… Heureusement pour nous tous
En même temps, tu n’avais pas mille alternatives
Mais LOUUUCHE!!!!