Pour ne pas rester sur cette dernière note au goût plus amer, je suis retournée, après le repas, à Ayasofya vers 23h. J’ai bien fait, il n’y avait pas beaucoup de monde, à part ceux qui priaient et l’ambiance était calme et sereine. J'y suis à nouveau restée un moment, à admirer ce haut-lieu (comme dirait Tesson) ayant en tête son histoire incroyable.
Une dernière nuit dans notre auberge-hôtel, puis il est temps de dire aurevoir à Valerio qui, lui, a moins de temps que moi à disposition et ira en Ouzbékistan bien plus rapidement. Pour ma part, je mets le cap sur la ville de Bursa recommandée par Erdjan. J’ai le feeling que prendre le billet de ferry va prendre du temps et décide de l’acheter avant, histoire d’être tranquille au départ du bateau. De toute façon, je ne connais pas les horaires exacts, donc ça se compliquerait de faire autrement. Je vais à pied au port de Yenikapi, malgré un chemin pas terrible pour les piétons : les gens y vont normalement en bus ou en taxi, j’ai l’impression. Je mets 20‘ de plus que ce que Google maps me dit et me félicite d’avoir fait cela en avance. Malgré des directives plus que peu claires de la part du type donnant des informations à la billetterie, je repars avec mon précieux ticket, la faim au ventre.
Je décide de retourner à mon resto „Türkish Cuisine“ ou j’avais si bien mangé la dernière fois. Je suis accueillie en grande pompes par le chef, qui me reconnaît. Un autre couple parlant français est assis à la table à côté. C’est décidément un repère à francophones ! Des sigara böreği commandés, ainsi qu’un pide, je me retourne vers mes voisins pour leur demander d’où ils viennent ; Pierre est français, et sa copine est marocaine ; ils voyagent quelques semaines en Turquie. On passe un chouette moment à discuter, mais ils doivent partir, un taxi les attendant. Peut-être qu’on se croisera dans le Sud (de la Turquie !), qui sait !
Le chef du restaurant vient me taper la causette, mais il ne me laisse plus repartir. Un çay, deux çay, du raisin… je me décide donc à aller finalement visiter la Citerne Basilique. Non seulement parce que ça m'intéresse, mais aussi et peut-être surtout parce que le Chef devient lourd à me tenir la jambe, et que c'est une bien bonne excuse que de devoir visiter Yerebatan Sarnıcı dont la capacité monte à 78'000 m2.
C'est ici qu'ont été tournées certaines scènes dans le film Inferno (adaptation du roman de Dan Brown, toi même tu sais).
J'avais tellement lu partout que cette visite était impressionnante, que cette basilique était énorme... Ben j'ai été un peu déçue. A tel point que j'ai ensuite regardé des photos sur internet, et je dois vous dire que je n'ai probablement pas eu accès à l'entièreté du lieu, car les vidéos que j'ai trouvées présentent un bâtiment gigantesque. Quid ? Je sais pas. C'était très beau, ne vous y méprenez pas, mais il y avait beaucouuup de monde, dans un endroit pas si grand que ça.
Après cette dernière visite, il est temps de prendre mon sac à dos et de quitter Byzance. La voie maritime me semble être la plus romantique, dans tous les sens du terme. C'est ainsi que je quitte cette mégapole de 15 millions d'habitants sur un ferry à destination de Bursa. En entrant dans le bateau, je vois au loin deux sacs à dos, dissimulant deux têtes. Quelle chance, j'allais pouvoir rencontrer d'autres backpackers ! Manque de pot, il faut s'asseoir vite et ne pas bouger, "it's dangerous" le rappelle un des matelots. Je vois l'un des backpackers sortir un Camus de son sac. J'en déduis qu'ils sont français. A l'arrivée au port, c'est le bordel, tout le monde se précipite vers la porte du débarcadère. Je les perds alors de vue, pas de chance. Pas de discussions francophones en perspective.
Je suis complètement lost, j'ai aucune idée de où je dois aller et personne ne parle anglais. J'ai une réservation rbnb chez un gars qui habite en ville, mais le port est à 1h de voiture du centre. Mon hôte m'a juste dit de prendre un minibus, puis un métro jusqu'à Mérinos. Ça parait simple dit comme ça, mais ni google maps, ni mes autres recherches internet ne semblent au courant de l'existence, ni du minibus, ni du métro.
Mes mimes et mon excellent turc me permettent de comprendre que le minibus est l'un de ces fameux transports publics qui attend d'être rempli avant de partir. On m'assure que le mien va à Bursa city, mais dans le fond, personne ne parle la même langue, donc je ne suis sûre ni de ce qu'ils ont compris de ce que j'ai dit, ni de ce que j'ai compris de ce qu'ils m'ont dit. On me demande 10 LTY (0,5.-), je ne négocie pas, car le chauffeur est tellement pressé qu'il roule déjà à tombeau ouvert me faisant manquer de saluer le sol de près -le poids de mon sac sur mon dos n'aidant pas à garder mon équilibre précaire. De toute manière, je crois que c'est un tarif qui ne se négocie pas, et j'ai l'impression que les autres voyageurs ont payé pareil, enfin je crois.
Je suis l'attraction de ces autochtones rentrant chez eux. Je ne sais pas si c'est mon énorme sac ou mon teint blafard, ou ma presque-chute, ou le tout, mais ils m'ont observée tout le trajet sans rien dire, ni sans m'aider d'ailleurs lorsque je devais payer (car j'ai mis un petit temps à comprendre combien cela coûtait). L'un d'eux finit par me lancer un sourire de compassion, je l'en remercie. Tout le long, je suivais google maps sur mon téléphone, essayant d'avoir une idée d'où m'arrêter et de l'endroit où une station de metro pouvait bien être. Au jour où j'écris cela, je n'ai toujours pas compris comment les gens savent à l'avance où le minibus s'arrête ; ce n'est écrit nul part, et il n'y a pas de station comme pour les bus. Je doute qu'il y ait une application.
Bref, je stresse tranquillement, car je me rends compte qu'il est tard (magnifique coucher de soleil depuis ma vitre de bus) et que je loge chez un type que je ne connais ni d'Eve, ni d'Adam. Ce qui me rassure ? Il a l'air de s'en foutre complètement de quand j'arrive, de si j'arrive et de comment j'arrive. Et ça, je trouve rassurant, même si ça peut paraître absurde. (je m'en fous = pas un danger)
Finalement, le type au sourire franc m'annonce en anglais que c'est le terminus du bus, il a l'air très surpris, ça n'a pas l'air normal. Une station de métro se trouve en face, je me détends.
Nouvel obstacle que de prendre un ticket. J'ai du liquide, mais la machine n'accepte que des billets de 20 LTY, ni plus, ni moins (pratique, vraiment.). Dans un turc se rapprochant de "bir bilet lütfen, Problem", je m'adresse à un usager du métro. Il ne parle pas anglais mais vient à ma rescousse. Après plusieurs essais, cela ne marche toujours pas. Il sort ses billets, réessaie, sans succès. Il en vient à échanger son argent avec un autre passant, et paye mon billet, que je m'empresse de lui rembourser. Un Saint-Martin moderne, en quelques sortes.
Je suis à l'autre bout du monde et la station mérinos attendue met du temps à s'approcher. En sortant, je ressors google maps (agaiiiin, je vais lui donner un nom, ça fera moins GAFAMfriendly - Georges ? Va pour Georges) ; je demande donc à Georges où je suis, mais celui-ci est moins précis que d'habitude et n'arrive à se décider entres plusieurs rues. J'avance à tâtons, en plus, il fait nuit. Georges finit par m'amener au bon endroit, non sans peines. Fatih m'accueille dans son humble demeure. Appart d'étudiant n'ayant pas fait le ménage depuis longtemps, mais appart avec un lit qui m'attend. A cheval donné on ne regarde pas les dents. Nous discutons un moment, il est avocat et est stupéfait d'entendre que j'ai fait du droit. "Geography is destiny" répète-t'il. En gros, la chance détermine la destinée de chacun selon où l'on nait. Fatih n'ayant un anglais que très limité, il est difficile de communiquer, mais à l'aide de traductions de mots-clés, de gestes et d'énergie, on est parvenus à discuter. Il répétait toutefois souvent "türkish Kultur", à court de vocabulaire. On passe une chouette soirée. Il m'offre un tesbih, une sorte de bracelet qui sert à occuper les mains. Les turcs les font tourner très vite dans leur mains en discutant. Moi, j'ai encore des progrès à faire. Les grands tasbih sont utilisés pour prier. Si tu vois pas ce que c'est, imagine un chapelet, et tu changes de religion - à moins que les musulmans utilisent ce terme aussi, je ne sais pas.
J'ai un lit à ressorts très peu confortable qui m'attend, mais je finis par dormir tout de même. Je me laisse même carrément faire la grasse mat', malgré les gémissements de mes côtes de sexagénaire.
Je m'en vais ensuite à l'assaut de la cité. Un évident premier passage au Bazaar s'impose. Bursa est la quatrième ville la plus peuplée de Turquie, mais il y a tellement moins de monde qu'à Stamboul que c'en est plus agréable. Je prends quelques sigar boregi et un toast en me désolant de ma manière de me nourrir depuis une semaine. Si je reviens avec 50kg en plus, ça sera tout ce que j'aurai pas pu caser dans mes affaires.
Place ensuite à la mosquée Ulu Camii, symbole de la ville. Une fontaine trône au milieu. C'est magnifique. Wikipédia (un copain de Georges) m'informe que "la mosquée possède 192 panneaux muraux monumentaux rédigés par les plus fameux calligraphes ottomans de l'époque, ce qui en fait l'un des plus grands exemples de styles calligraphiques arabes au monde". Moi j'ai qu'une chose à dire ; Waouw.
Je déambule dans le marché fruité, marchande une barquette de framboises pour me sentir healthy et parce que j'en avais envie depuis ce matin, et je traverse les ruelles marchandes jusqu'à arriver à la mosquée verte. Je commence par entrer dans le tombeau qui se situe en face. C'est splendide. Un visiteur fait la lecture du Coran, ça résonne dans la pièce et c'est très beau.
Finalement, j'entre dans la mosquée verte (Yeşil Cami), je tombe bien, car il n'y a quasi personne. Je m'assois un moment et en profite pour laisser mes réflexions se manifester. Je me rends compte que j'ai un peu peur de ce voyage. Je vis l'un de ces fameux moments que j'appelle "putain, mais qu'est-ce que je fous là". J'en ai connus quelques-uns, notamment en partant à vélo. Cette fois, c'est un peu différent, je pars à priori pour vachement plus longtemps. Je crois que je dois juste me laisser aller, profiter. Là tout de suite, j'ai de la peine à me rendre compte de ce que je fais et où je vais. Normal, j'en sais rien. La mosquée est très belle, j'y reste un moment, au calme. En sortant, un gars m'adresse la parole. Il me demande d'où je viens et se présente. Il est artiste et s'est occupé de chaque mosaîques dans la mosquée. C'est lui qui a ajouté toutes les feuilles d'or et qui s'occupe de restaurer le nécessaire. Il a un atelier à deux pas de là, et un autre à Gênes. Il travaille aussi pour des musées en Italie et aux USA. En fait, il est pas mal connu dans le milieu. Il me parait être très décontracté, un vrai artiste. Il me montre son travail dans la mosquée, m'explique comment il fait et me sert de guide dans le monument sur lequel je m'étais trop peu renseignée. La fontaine au milieu de la mosquée ne sert pas aux ablutions me dit-il, car il y en a une à l'extérieur. Celle-ci servait au gouvernement qui avait ses bureaux dans les pièces à côté de celle où l'on se trouve, en effet, le bruit de la fontaine couvrait les secrets qui devaient être gardés. Yunus - c'est son nom - a donné un surnom à cette fontaine, la fontaine-CIA. Il est hyper chaleureux et me propose de passer voir son shop, son atelier. Il me prévient ; il n'est pas comme les stambouliotes, lui ne me le montre pas pour que je lui achète quoi que ce soit. Il me conjure de ne pas m'en sentir obligée. Il m'offre un thé et me présente son travail. Il faut dire que c'est vraiment beau. Il me donne des conseils - bateaux, soit - mais que j'avais besoin d'entendre à ce moment-là. "Don't be so serious Louise". You have to feel it, here" -dit-il en tapotant sa poitrine, à l'emplacement de son coeur. "Relax!".
Appeler cela comme vous voulez, mais après mes doutes dans cette mosquée, cette rencontre arrivait à point nommé. C'est avec émotion que j'ai accepté un petit cadeau de sa part, un porte-clé de sa confection. Ce n'est pas tant l'objet qui m'a touché, mais le geste. Il m'a montré ses foulards de soie "100% silk, Bursa" qu'il vendait trois fois moins cher qu'au Bazaar d'à côté (j'ai vérifié), à 200 LTY. Je lui en ai acheté un, et n'ai pas osé négocier. D'une part car je trouvais ce prix raisonnable, d'autre part parce qu'il était tellement sympa que je ne voulais pas lui faire cet affront - si tant est qu'il se serait agit d'un affront. Il m'a ensuite offert un dönner et un Ayran avant de me donner maintes recommandations de sites à visiter et de me quitter en me promettant d'envoyer un jour un tapis de soie à "my swiss friend" à Neuchâtel, si un client suisse voulait bien me le ramener. Papa, maman, soyez pas surpris si vous en trouvez un devant la porte un jour.
J'ai ensuite écrit à Fatih qui m'avait proposé la veille de me montrer la cour de justice de Bursa, et son bureau d'avocat. Il m'a donné l'adresse où j'ai rencontré deux de ses collègues, dont l'un parlait bien anglais - et quel bonheur pour converser... et traduire ce que Fatih me disait. J'ai enfilé la robe sous l'oeil de la Cène, dont la présence dans ce bureau est un mystère. Puis, nous sommes allés au tribunal, dont l'entrée est réservée aux avocats ... et aux prévenus. On m'a présentée comme une avocate suisse et j'ai pu entrer.
Ayant vu à quoi ressemblait la salle des prévenus (où ils sont tous entassés les uns sur les autres), je vous assure qu'il vaut mieux se faire arrêter en Suisse qu'en Turquie, rien que pour des raisons de salubrité.
Un café et retour chez Fatih pour récupérer mon sac à dos. Je devrais juste avoir le temps, en y allant à pied, d'aller voir les derviches tourneurs recommandés par Yunus. Fatih insiste pour que je prenne le bus. Je refuse, mais accepte finalement car il ne me laisse pas vraiment le choix. Je vois bien qu'il n'a aucune idée de quand passera le bus (toujours pas d'horaires ni de plan btw) et je m'impatiente, car je sais que les derviches ne s'entraine que pendant 30'. Yunus m'a recommandé cet endroit car les danseurs s'y entrainent devant un public restreint (ce n'est apparemment pas connu comme endroit) et le tout est gratuit accompagné d'un thé offert. Il me l'a tellement bien vendu que j'avais vraiment envie d'y aller, mais le coup du bus m'en a empêché. Après 15', le bus n'était encore jamais venu, zai zai zai zai.
L'idée abandonnée, c'est un peu frustrée que je prends le métro pour aller chez Aysun, mon hôte warmshower. Pour les non-initiés, Warmshower est une plate-forme utilisée par les cyclotouristes voulant dormir gratuitement chez l'habitant. Malgré l'absence d'Edouard (c'est le nom de mon vélo), j'ai quand même été acceptée chaleureusement chez Aysun.
Je m'arrête là, le sommeil frappant à la porte. La suite pour demain..
Tellement content ce matin de te lire de Giétroz. Quelles aventures …. Cette photo avec la robe d’avocat devant la cène …. Incroyable !!! Bisous doux …
C’est vraiment l’aventure! Ces rencontres, doutes, découvertes, réflexion; la Vie à 100%! Merci de partager tout cela avec tes lecteurs! Avoir accès au tribunal en portant la robe: incroyable! Et la rencontre de Yunus! Je recevrai bien la.e livreu.r.se de tapis, promis!
Espérons que tu aies d’autres occasions de voir les derviches tourneurs car je me délecterais d’un récit à leur sujet! Après les mosquées et la Cène, une plongée chez les suffis serait tout à fait appropriée et féconde! Prends bien soin de toi!