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Photo du rédacteurLouise Perriard

S'allonger par terre, c'est mourir

Dernière mise à jour : 7 mai 2023


Je suis repartie de San Martin de los Andes en pleine forme, avec Alba en pleine forme elle aussi. J’étais un peu triste de quitter cette auberge de luxe, avec des gens adorables dont Javier, un argentin qui était là pour le marathon. Il me donne pleins de conseils de route avant que je reparte.


La veille, j’avais passé la journée à chiller et bloguer, manger un gâteau énorme avec Nicolas, le californien rencontré sur le Patagonia Beer Trail qui arrivait ce jour-là et boire un verre de rouge avec Joaquin, Chrissi, Manon et un nouveau venu - cycliste lui aussi - dont le nom ne me revient malheureusement pas.


J’étais donc complètement motivée, et il en fallait de la motivation car les cinquante prochain kilomètres, je les connaissais ! Etant déjà passée par là avec Edouard, je savais que le tronçon Sam Martin-Junin ne serait pas fun. En cause ? le trafic terrible sur cette route et les paysages pas si motivants. Je me décide donc à me booster pour faire le trajet vite. J’étais tout de fois moins vite qu’un cycliste du dimanche qui m’a dépassée et qui -ayant fini son tour et revenant - m’a demandé si tout allait bien. « Despacito ! ». Traduction ? t’es lente. Ben si tu le dis alors ! Quel blaireau, j’aurais bien l’aimé voir porter tout ce poids qu’Alba porte sur son dos. Bref, je me remets en route après un sandwich et finis par arriver à Junin de los Andes, un village touristique, pour une raison qui m’échappe. A moins de vouloir tenter l’ascension du volcan Lanin, je ne vois vraiment pas ce qu’il y a à faire ici. Je me suis trouvé un café ouvert pour m’y prendre un jus que je m’étais promis sur la route. A peine assise que le vieux monsieur lisant son journal à côté commence à me taper la causette. Malheureusement, j’ai - comme dans toutes les langues il semblerait - beaucoup plus de peine à comprendre l’espagnol des personnes plus âgées et je peine beaucoup à saisir le message qu’il tente de me transmettre. Il semble tout de fois ravi de me voir à vélo et il a un doux sourire bienveillant quand il me parle. Je descends mon jus à tout de vitesse et profite de cette pause avec connexion pour prendre des nouvelles du monde. C’est à ce moment-là qu’un autre gars vient me voir et dans un allemand quasi parfait - bien que ponctué d’un accent argentin - me demande si je suis la suissesse à qui appartient le vélo ! Je n’en reviens pas. On discute un moment en allemand et quand il apprend que ce n’est pas ma langue maternelle, me complimente sur mes compétences germanophones. Quel comble !! Ce n’est pas la première fois que le petit drapeau suisse sur mon vélo me permet une telle rencontre et je suis ravie de cet achat dernière minute de l’aéroport de Genève-cointrain. En sortant de Bariloche déjà, une voiture m’avait dépassé en criant « Grützi voll ! ».


Je profite d’être dans une ville (village ?) pour y charger ma carte SIM et repars sachant que je quitte bientôt la terrible ruta 40 - sur ce tronçon - pour un peu de paisibilité. Quelques kilomètres plus loin, regardant à travers ce que j’appellerai la campagne argentine, j’aperçois des cornes… mais… serait-ce là le fameux huemul ? Il y en a même deux ! Dire que des gens s’infligent des treks de trois jours pour espérer en apercevoir ; il suffit de prendre son vélo !


Pas moins de cinq minutes plus tard, c’est un autre énergumène que je rencontre. C’est un cycliste argentin qui fait sa sortie vélo. Il me pose les questions devenues habituelles et quand je lui annonce être partie de Punta Arenas, il tombe des nues. « no lo creo, no lo creo » qu’il répétait.


Je continue ma route et l’ascension commence. C’est un bon dénivelé que je dois avaler, mais la route est parfaitement pavée, il y a du soleil avec un petit vent rafraîchissant et il n’y a quasi aucune voiture. La vallée devient plus belle à force que je monte et l’admire. Seuls deux chevaux morts sur le bord de la route altèrent un peu mon émerveillement. Perchée à 1140m d’altitude, je frissonne un peu et remets ma petite veste. C’est une riche idée puisqu’une descente aussi longue que la montée m’attends. Je descends avec une vue merveilleuse et la lumière de la fin du jour ajoute un peu de magie à tout ça. Le soleil commence à se coucher, il me faut me trouver un endroit où planter la tente. Après une journée de presque 100km de vélo et 1000m de D+, je décide de m’arrêter près du village de Pilo lil. Sans le savoir, je m’arrête à quelques mètres de la fin de la route pavée. Le ripio, c’est pour demain !










Je me réveille face à la rivière, range les affaires et repars avec Alba afin d’affronter le ripio. Je n’ai eu aucune info sur la qualité du revêtement, c’est la surprise. C’est une mauvaise surprise. Ce sont des cerruchos à perte de vue. Les cerruchos, c’est la tolondulée ou washboards en anglais. C’est l’enfer à vélo. J’ai mal partout, mais surtout aux fesses et le moral est au plus bas, enfin presque. Heureusement, la vue sur la vallée d’albuminé est sympa, mais pas assez pour rendre le trajet agréable. Je ne fais même pas du 10km/h, c’est affligeant. Quel ripio de merde - me dis-je quelques fois. Après trente kilomètres à avaler de la poussière - dans tous les sens du terme, les voitures me dépassant m’ayant bien recouverte de poussière - ainsi qu’à subir les rafales d’un vent bien remonté, je retrouve le saint graal; le goudron. « Ne me quitte pas ».









J’ai l’impression de voler sur ce revêtement quasi neuf. Je peux atteindre la rivière Aluminé pour bivouaquer dans le sable, tout proche de la ville d’Aluminé. En plus, j’ai un peu de réseau ce qui me permet de lancer une alerte « en vie » aux parents, c’est à dire un message dans le groupe WhatsApp familial (ah la technologie…). J’ai droit à une splendide lumière le soir et des étoiles pleins les yeux.






Au réveil, je n’ai que sept kilomètres à faire avant de tomber sur la ville d’Alluminé inespérément vivante - ou suffisamment pour trouver du gaz et refaire le plein de courses. En effet, j’avais prévu de quoi tenir 3-4 jours, mais je me suis motivée à ne pas passer par Las Lajas et continuer directement sur Chos Malal, cf. la carte ci-dessous, afin d'éviter de faire deux fois un tronçon de dix kilomètres. Spoiler : ce plan va vite tomber à l'eau.



A Alluminé, je me pose dans un restaurant, y commande deux sandwichs à l'emporter végétariens ainsi qu'un grand toast roquefort-poire. Les serveurs sont d'une lenteur ! Le mot végétarien ne veut pas dire grand chose pour les argentins ou alors exclue simplement le Jamòn de la catégorie "viande". C'est ainsi que je me retrouve avec deux sandwichs (plutôt burgers) jambon-fromage ainsi qu'un toast roquefort-poire-viande-séchée pas du Valais. Super. En revenant des toilettes, le serveur m'apprend que le chien (du resto ?) a mangé l'un de mes sandwichs pourtant emballé. Il me propose très gentiment de m'en refaire un ou de me rembourser. J'en profite pour me faire rembourser et garde mon autre sandwich qui me fait pas très envie. Je repars assez tard sur la route - goudronnée. Les paysages sont sympa, mais très arides. Je passe à côté de vaches mortes et me demande Ô comment elles ont pu mourir ; la rivière n'est pas loin, il y a de l'herbe - certes jaune.


Je roule jusqu'à retomber sur le ripio. C'est une nouvelle mauvaise surprise. Je roule tant bien que mal. Le ripio s'améliore et je circule entre les Araucarias, c'est joli. Et puis le mauvais ripio revient. Plusieurs fois, des voitures s'arrêtent pour me demander si j'ai besoin d'aide ou si je veux mettre le vélo dans le pick-up et me faire pousser. Beaucoup d'automobilistes me font cette proposition, je fatigue presque à leur dire que non, tout va bien Il fait très frais et le vent est terriblement fort. J'arrive près du lac d'Alluminé, ça souffle tellement ! La route est toute ensablée et je dois souvent m'arrêter pour ne pas tomber, les roues s'arrêtant net dans le sable trop profond. Je maudis les cyclistes qui m'ont conseillés ce chemin. Le paysage, je ne l'apprécie pas, je dois regarder la route pour ne pas tomber. Je vais beaucoup plus lentement de prévu et le soleil se couche quand je retrouve le goudron. Il faut vite que je trouve un endroit où camper. Je vois une maison de garde-forrestier avec un employé qui s'apprête à franchir la barrière pour y accéder. je lui demande si je peux camper près de la maison. "Il n'y a personne" me dit-il. Mais qu'est-ce que ça me fait qu'il y a ait personne ? Je lui explique que j'ai tout ce qu'il me faut pour camper, mais il me répète inlassablement qu'il n'y a personne. J'abandonne. Le goudron salvateur n'était que de courte durée et je retrouve le ripio. Les lueurs du jours s'éteignent quand je plante ma tente au bord de la rivière ; j'ai trouvé un coin pas trop mal près de la route, bien que rempli de déchets.


Un vent horrible et du sable sous les roues ; on dirait pas hein ?





Le soir, je suis pas en grande forme et ai même l'impression d'avoir la nausée, mais je chasse vite cette pensée peu agréable et me mets au dodo. Le lendemain, je suis pas motivée du tout et je me sens faiblarde, mais c'est pas ça qui m'a empêché de pédaler par le passé et la perspective de rester dans mes déchets ici ne me plait guère. Je mets les voiles tard et on part en guerre contre le ripio avec Alba.


La suite est censée être un parc national au milieu des montagnes et des araucarias. C'est le cas, sauf qu'il y a des travaux sur 35 km, car la route va être goudronnée. Ça enlève vachement le charme du lieu quand tu pédales dans la poussières soulevée par les nombreux camions te dépassant ainsi que sous le regard ahuris des ouvriers. Un peu l'impression d'être un cheval de cirque parfois.


On s'arrête beaucoup pour me demander si j'ai besoin d'aide. Bien mal m'en a prit de ne pas avoir accepté. Je ne me sentais pas bien, clairement. Je pensais que c'était à cause de la route et du manque de motivation. Je pensais cela à tort.


A midi, je n'ai même pas envie de manger. je ne m'arrête pas et préfère en terminer avec ce ripio de merde. Là, un vrai mal de ventre commence à s'installer. Je commence à me rendre compte que ça va vraiment pas fort. Je suis en altitude - rien comparé à l'altiplano bien sûr - et il fait froid. Je suis juste en dessous de 2000m et il y a un peu de neige à côté de moi. Le bord de la route est gelé lorsqu'il y a un peu d'eau. L'air est plus que frais. Je n'ai qu'un gant, l'autre s'étant perdu à San Martin. Je me dis que si j'ai trop froid, je peu toujours sortir mes chaussettes. Mais quand est-ce que la limite du "trop" froid se dépasse-t-elle ?


Je sens désormais clairement que j'ai la nausée. Je m'arrête prendre une photo du paysage devenu juste merveilleux depuis que j'ai dépassé le chantier. En posant les pieds au sol, je me rends compte que je suis frigorifiée. Mes mains ont de la peine à se refermer sur la caméra. ça sent pas bon tout ça.









Une voiture me dépasse et me demande si je vais bien. En entendant la question, j'ai les larmes qui me montent aux yeux. J'articule un "c'est difficile, mais en même temps, je ne crois pas que vous ayez de la place pour un vélo". Elle hoche la tête. La voiture repart. Énième occasion manquée. Instantanément, je regrette n'avoir pas laissé le vélo et être montée à bord. Je réalise doucement l'état dans lequel je suis. Ce n'est pas que ça va pas, ça ne va pas du tout. Je commence à avoir peur. Le vent s'est bien levé cette dernière heure. Les rafales sont d'une puissance ; c'est un fouet au visage. Heureusement, la descente arrive. Heureusement ? Je descends frigorifiée dans la tempête, à tout moment il pourrait neiger ; la descente, c'est pas vraiment agréable. Je n'arrive plus vraiemnt à pédaler, mes jambes sont comme piégées dans leur position. Je tremble. La réalité me frappe soudain avec violence : je suis dans un état critique, il faut que je me réchauffe, que je me repose, sinon, je vais tomber du vélo. Le problème ? Le vent est tellement fort qu'il est impossible de planter la tente ici.


Cette fois, je fonds en larmes. Alba tente de garder le contrôle de la route tant bien que mal pendant que mon cerveau switch sur off. Je pleure de manière presque animale ; c'est toute la tension et la peur qui doivent s'échapper. Je flippe vraiment. Je commence à me demander si je vais passer la nuit. Face à moi, un paysage splendide et terrifiant. Mes cris douloureux font écho sur les montagnes et la neige les étouffe. Je pense à ces alpinistes qui gravissent l'Everest. Un paysage merveilleusement dangereux. C'était l'effet que me faisaient les montagnes et le volcan dont je voyais la base face à moi. Les Araucarias imperturbables face à mes pleurs. Des coups de couteaux dans mon ventre.


Finalement, je descends du vélo ; j'ai trouvé un endroit ou je suis protégée du vent - un peu - par un muret de briques. J'ai de la peine à marcher. Chaque pas est douloureux. Je murmure "help me" au vent, seul témoin de l'urgence de la situation. Je n'ai qu'une envie, celle de m'allonger par terre et fermer les yeux. Je lutte très fort pour ne pas me coucher. Une seule seconde, juste une- je m'auto-supplie. Mais je sais ce que cela signifie. Si je ferme les yeux sur le sol glacial, je ne les ouvrirai plus.


J'ai des étours, je ne vois plus très bien. Je monte la tente, renverse mes affaires au passage. Je suis plus que maladroite, je renverse tout et je ne marche pas droit. Mon instinct de survie se réveille, je plante la tente. Je me force à mettre la deuxième toile, sachant qu'une fois dedans, je ne réussirai pas à sortir. je ne trouve pas l'énergie de mettre les sardines, le vent devra se calmer.


Je dois encore gonfler le matelas. Je le fais à moitié, car j'ai déjà de la peine à respirer. J'ai le souffle court et à la fois une respiration saccadée d'une rapidité déconcertante. Je me murmure des trucs qui n'ont pas beaucoup de sens. Enfin, les sacs de couchages. Je me glisse dans mes deux sac de couchages et continue de trembler pendant plusieurs minutes. Par je ne sais quel miracle, j'ai de l'eau chaude et du coca, mais je n'ai plus beaucoup d'eau. Je prends des médicaments contre les nausées et la diarrhée. Pas moins de trois minutes après, je vomis une première fois. Je reprends les mêmes médicaments dans la foulée sachant qu'il n'ont pas pu être assimilés. Je vomis une deuxième fois. Je renonce à reprendre des médicaments. J'ai de sérieux doutes quand à mes capacités à passer la nuit. J'ai peur de fermer les yeux.


Je commence à me réchauffer un peu et reprend raison ; ce deux sacs de couchage ensemble doivent bien me donner une température de -5 degrés. Il n'y a pas de raison à ce que cela ne suffise pas. Je vomis au moins huit fois dans la nuit. J'ai très peur.


Au matin, je vais un peu mieux. C'est-à-dire que je suis en vie, je n'ai plus froid et je ne vomis plus.


Je range mes affaires avec difficultés et me poste au bord de la route pour faire du stop. Un camion passe venant de l'autre côté ainsi qu'un pick-up. Je ne les arrête pas, pensant qu'une voiture ou un camion viendra de mon côté, en direction de la ville la plus proche et de l'hôpital. Je regrette vite ce choix. Pendant plus d'une heure, aucune voiture ne passe. je n'ai plus d'eau, suis complètement déshydratée et je n'ai rien mangé depuis 24h à part littéralement trois bouchées de banane, par peur de vomir le reste.


Au bout d'un moment, je me rends à l'évidence. J'ai grand besoin d'aide et ce n'est pas ici que je vais en trouver. Alba et moi repartons donc sur trois kilomètres pour rejoindre la route internationale. C'est le paso hachado, un col-frontière avec le Chili. Il y a une file de camions de plusieurs kilomètres. Je lâche Alba et réalise péniblement les quelques mètres qui me séparent de deux camionneurs discutant. Je fonds en larmes et ils me calment et l'un d'eux part chercher de l'aide auprès de la gendarmerie nationale. On me donne de l'eau et des biscuits salés. L'un d'eux prend ma tension (je le soupçonne d'avoir toujours voulu utiliser sa petite machine pour prendre la tension et d'avoir saisi l'occasion). Beaucoup de monde se rassemble et on me pose pleins de questions. Je ne comprends pas tout et je suis trop faible pour tout saisir. Tout le monde veut m'aider. Je suis tombée sur des anges.


Les gendarmes finissent par arriver et me disent quelque chose que je ne comprends pas. Ils repartent. Finalement, un gars arrive avec sa voiture. Tout se beau monde mets mes affaires et le vélo dans le coffre et on m'installe à l'avant. 60 kilomètres nous séparent de l'hôpital le plus proche. Mon samaritain roule à toute vitesse, j'ai l'impression d'être en ambulance. Je suis épuisée et il m'est impossible de répondre aux questions qu'il me pose. Je m'endors pour le reste du trajet. Arrivés à l'hôpital, on me prend en charge tout de suite, tandis que mon chauffeur décharge la voiture et que les médecins gardent Alba dans la salle de réunion (!). Je suis en sécurité, tout va bien.


Je tente de payer mon chauffeur, mais rien n'y fait. Il repart aussi mystérieusement qu'il est arrivé. On s'occupe de moi, je m'endors.






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3 Comments


j'ai quand même lu... parce que je connaissais le dénouement! et parce que si l'on conseille de ne pas lire, ça donne juste envie de lire!

Quelle horreur tu as vécu... je saisis maintenant la nuance entre la crainte (imaginer ce qui pourrait se passer) et la peur (instinctive, animale, lorsque la vie est en jeu)

Et je ne cesse de bénir tes sauveteurs!

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Oh la la Louise… remise? Bon courage et gros becs. CL

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Louise Perriard
Louise Perriard
Apr 25, 2023
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Presque complètement remise, encore un peu de repos et ça donnera le tour ! 😘

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