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Photo du rédacteurLouise Perriard

Shiraz

Dans le taxi, je me rappelle cette anecdote que l’un des suisse-allemands a sortie un soir, quelque chose dans ces termes : « en Iran, faut même faire gaffe quand vous dites que vous êtes touristes ; ça ressemble vachement au mot terroriste en anglais».


Mon bus part après plus d’une heure de retard et le trajet est très long. J’arrive finalement à Shiraz, dernière ville iranienne de mon voyage. Je bois une delester pour faire passer le temps (c’est de la bière sans alcool, bien sûr) et j’ai mes pantalons rouges pour insulter l’Ayatollah.


A la station de bus, je prends un Grab (c’est le Uber d’ici), ce qui évite de négocier (et surtout de se faire arnaquer de manière significative). Sauf que mon téléphone s’éteint. Plus de batterie et mon Grab est introuvable. Je me rabats donc sur les taxis et essaie de négocier un prix (un peu plus haut que le Grab, pour leur laisser leur marge, je suis sympa). Les chauffeurs me demande presque trois fois le prix et refusent de négocier. Ça m’énerve et même si ça reste déraisonnable en francs suisses, le principe me dérange. C’est un cartel de taxi dans le coin. Je marche donc un peu plus loin et trouve enfin quelqu’un qui parle anglais, il accepte de me commander un Grab. Ça marche pas. Je regrette alors de ne pas avoir accepté les tarifs scandaleux des taxis. Mon nouveau pote me dit que mon auberge est sur sa route et qu’il peut m’y amener. J’accepte en gardant en tête que je lui payerai sa route le prix du Grab, malgré tout. On discute un peu en route, je vois qu’il veut me parler du régime et qu’il a peur. Il laisse sa phrase en suspens. Je comprends ce qu’il veut dire, je réponds « it’s politically complicated, but your country is beautiful ». C’est moins dangereux que de dire que le fait que les flics tuent des gens dans la rue, ça fait un peu réfléchir de voyager dans le pays et ce, malgré la beauté de la culture persane.


J’essaie tant bien que mal de lui mettre mes billets dans la main, mais il refuse. « Taarof nakon » (ne fais pas de Taarof, je lui dis). Il m’assure que ça n’en est pas, que c’est un plaisir pour lui. J’abandonne donc avec regret ma mission, pourtant simple, consistant à payer mon trajet.


Arrivée à mon auberge, je suis épuisée. Je trouve de quoi me sustenter et rencontre un français qui travaille ici. Il me pense bien sûr française et me demande comment je compte faire avec la récente recommandation de quitter le pays. Il est apparemment déçu de ne pas trouver en moi une compatriote tout autant dans la merde que lui.


On discute un moment, mais mes yeux se fermant seuls, je dois prendre congé.


Le lendemain, je rencontre une russe dans l’auberge, ainsi qu’une irlandaise (que j’avais prise pour une russe à tort). Je suis complètement épuisée de l’Iran et peine à vraiment discuter avec elles. Je n’ai que deux jours à Shiraz et me force à visiter même si j’aurais préféré passer ces deux jours à dormir ; je sais que malgré toute ma bonne volonté, je risque de ne pas revoir l’Iran avant un bon moment (et j’espère bien que d’ici là, le pays sera libre).


Je prends donc mon courage à deux mains et pars visiter Shiraz. Sur le chemin, les mêmes questions encore : « d’où tu viens ?, qu’est-ce que tu fais en Iran ?, pourquoi visiter notre pays ?, qu’est-ce qui te plaît en Iran ?, tu as été où dans le pays ?, tu es toute seule ?, ta famille te laisse partir toute seule ? (Comme s’ils avaient le choix 😅), tu n’es pas mariée ? ». Je fatigue vraiment à y répondre. C’est la journée de trop, tout m’agace, les motos qui me dépassent sur le trottoir, les regards curieux, remettre mon voile quand je croise un policier… mon niveau de tolérance a simplement été dépassé, je suis à bout.


Je veux visiter une mosquée, on me demande de porter un chador en plus de mes habits quotidiens (qui pourtant couvrent bien 98% de mon corps). Je mets donc le drap sur moi. Ce n’est pas assez, je suis en Birkenstocks, voyez-vous, et il me fait porter des chaussettes pour rentrer dans la mosquée. C’est le truc le plus absurde que j’aie entendu jusque-là. On me demande donc de porter des chaussettes dans un lieu où on me demande d’enlever mes chaussures, même à la - très conservative - mosquée d’Istanbul, on ne m’a pas demandé ça. Il faut bien sûr les acheter ces chaussettes.


Voyant des iraniennes passer en talons haut, j’ai de l’espoir. Elles se font arrêter bien vite par la gardienne des lieux, et, elles aussi, semblent trouver cela absurde. Apprenant que je dois aussi déposer mon appareil photo à l’entrée pour rentrer, j’abandonne. Je n’ai pas la force pour ça.


Je me dirige donc vers l’autre fameuse mosquée de la ville. Là-bas, on paye son entrée et il faut porter un chador, mais c’est « tout ». C’est magnifique, mais je crois être trop fatiguée pour en profiter vraiment. Les vitraux réputés pour filtrer la lumière se reflétant à l’intérieur sont très beaux, mais le bruit autour de moi me rend dingue et je sors bien vite, écouteurs dans les oreilles.














On est le 12 octobre, je n’ai pas eu d’internet de la journée. Je n’ose pas imaginer ce qui se passe aux quatre coins de la Perse, quand personne ne peut témoigner des crimes que la Basij commet envers les manifestants demandant simplement leur liberté.


Je visite des anciens bains, c’est franchement pourri, il ne reste rien et il y a des statues en plastique de gens qui se baignent, pour montrer « comment que c’était avant ». Je tente alors ma chance vers la mosquée Vakil. C’est une fois encore une très grande mosquée, et je tombe bien, il n’y a quasi personne. Je m’assois un moment, reste là à admirer cette mosquée, très belle.



Je m’arrête ensuite manger dans un restaurant pour touristes - c’est à dire trop cher pour ce que c’est, mais au goût des Occidentaux. Mon repas fini, trois iraniennes viennent me demander en farsi si elles peuvent s’asseoir (ou du moins c’est ce que je comprends). Je trouve un peu spécial puisqu’il y a d’autre tables libres, et ce n’est pas la journée où je suis la plus sociale, mais je ne trouve pas de bonne raison pour refuser. Ces dames s’assoient donc et - disons-le - envahissent mon espace personnel. Je suis hyper gênée, mais je ne veux pas bouger, je suis bien trop crevée pour ça. Une dizaine de minutes plus tard, le serveur vient leur demander de partir puisqu’apparemment, elles ne veulent rien consommer. Je peux donc écrire mes cartes postales tranquillement et déguster mon smoothie en paix. Je fais un dernier tour au bazaar avant de rentrer à l’auberge. Le lendemain, je veux visiter Persepolis qui est à une trentaine de minutes en voiture de Shiraz, c’est donc de bonne heure que je me lève.


Pour accompagner mon petit déjeuner, le « scarf festival » m’entoure de doux sons de femmes et d’hommes manifestants pour que l’on continue à restreindre leur libertés. C’est une manifestation organisée par le gouvernement, pour montrer au monde que les mollahs sont appréciés par certains. C’est de la propagande quoi.


Je pars à la recherche d’un taxi et j’ai le cœur brisé en voyant des petites filles de 6 ans en chador, sortant des manifestations. Ne vous y méprenez pas, je n’ai rien contre les personnes qui choisissent de le porter, mais emmener sa fille - qui n’a manifestement pas la capacité de discernement- dans un événement qui félicite le gouvernement d’empêcher cette même petite fille de choisir dans quelques années si elle veut ou non porter un tel vêtement, eh bien ça me dérange au plus profond de mon être.


La police est partout ce matin, et je suis bien contente d’y échapper en partant à Persepolis.


Arrivée là-bas, il semble qu’il ne reste plus beaucoup de touristes dans les environs. Je suis donc ravie d’être quasi seule dans l’ancienne capitale de l’empire Perse achéménide.


Il fait horriblement chaud et je suis terriblement fatiguée, mais je prends plaisir à me balader dans cet énorme site archéologique.


















A mon retour, j’appelle un Grab pour rentrer à Shiraz. Quand celui-ci arrive, il me demande le double du prix affiché sur l’application - application créée pour justement éviter ce genre de problèmes. J’ai mes principes et ne veux pas me faire arnaquer par ce mec qui m’exaspère. Je me rends compte bien vite qu’il n’y a pas d’autres Grab aux alentours et que les taxis ne me feront pas de cadeaux non plus. Finalement, l’application me signale qu’un autre chauffeur a accepté de me prendre. Je l’attends et voilà qu’en face un autre type me dit qu’il est mon chauffeur. Je lui explique qu’il n’a pas le même numéro d’immatriculation que celui de l’app et que ce n’est donc pas lui. Je réalise qu’en fait, il le sait très bien, qu’il se fout de ma gueule, qu’il veut juste m’arnaquer comme le précédent. Je suis exténuée. Un policier s’en mêle - je vous ai déjà dit comme j’étais tétanisée à côté des policiers iraniens ?


Le policier veut que je prenne mon charmant nouvel ami comme taxi. J’essaie de lui expliquer que c’est une arnaque. Il comprend mais a l’air de s’en foutre tout autant. Il discute en farsi avec l’autre type, rigole - il semble se moquer de moi, que sais-je. Je suis décidée à ne pas rentrer en taxi avec l’un de ces sales types, s’il me faut marcher douze heures pour rentrer à Shiraz, c’est le prix que je payerai.


Un couple iranien repartant pour Shiraz m’interpelle. Ils ne parlent que farsi mais je comprends qu’il me proposent de me ramener jusqu’à l’entrée de la ville. Je suis aux anges et accepte tout sourire. Ils m’emmènent à bon port, tout en me détruisant les oreilles avec de la tech iranienne bien trop forte.


Ils me déposent à la porte de la ville. Je n’ai pas le temps d’appeler un Grab qu’un type se propose de m’amener. Je n’ai pas un grand feeling et refuse, mais je réalise que l’application ne trouve ps de chauffeur autour et je suis donc contrainte d’accepter à contrecœur. Il ne parle pas anglais et - bien qu’il me dise le contraire - ne connaît pas mon Hostel. Je le dirige donc grâce à Google maps en répétant tout droit, car c’est le chemin. Il se moque de moi et répète « tout droit » (en français parce que j’ai arrêté de lui parler en anglais quand j’ai compris qu’il ne comprenait ni yes, ni no). Je suis trop fatiguée pour réagir.


Arrivés plus ou moins à destination je lui demande de s’arrêter (« baste »). Il ne veut pas que je le paye. « Taarof nakon ». Il accepte alors. J’ai vraiment besoin de dormir, même le taarof commence à me fatiguer.


Je m’écrase dans mon lit pour une sieste éternelle - ou presque.


Le lendemain, je quitte l’Iran.


NB : Je vous écrit tout ça depuis la Thaïlande et l’Iran me manque profondément.

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4 Comments


Josias Heubi
Josias Heubi
Nov 03, 2022

et puis bravo de réussir à te remémorer tes émotions du moment c'est trop bien :0

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Louise Perriard
Louise Perriard
Nov 03, 2022
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Parfois je note juste des mots-clés pour me souvenir, mais souvent les photos suffisent à me rappeler (surtout en Iran où toutes les émotions étaient décuplées) :) Becs du Laos (#octogénaire)

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Josias Heubi
Josias Heubi
Nov 03, 2022

À ma première lecture inattentive du "scarf festival" suivit de "doux son" j'ai vraiment pensé à un truc de musique 🫠

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Oh mais cette dernière phrase, Louche chérie... Ça me met les larmes aux yeux...

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