Juste avant de quitter Fatih pour m'en aller chez mon hôte Warmshower, nous rencontrons dans le tram une dame qui s’interroge de qui je suis et de ce que je fais là (oui, j'ai vraiment pas une tête d'ici, les gens me repèrent tout de suite). Elle ne parle pas anglais et Fatih fait office de traducteur, ou du moins essaie. Elle est très surprise d'apprendre que je voyage seule et me conjure de ne pas le faire. C'est dangereux en Turquie, dit-elle ! Elle me recommande maintes prudences, en tout les cas. Puis Fatih ajoute (ou plutôt me montre une traduction sur son téléphone) "and don't trust men right away". Il ne se rend pas compte de l'absurdité de la situation ; il est lui-même un homme auquel j'ai fait confiance "right away" en venant chez lui. Mais il répond toutefois à la femme - qu'il me me traduit - "you are a strong woman", ce qui me décroche un sourire.
Je pars du principe que l'on a principalement peur parce que l'on ne connaît pas. Cette femme fait partie d'une génération qui n'a probablement pas eu l'occasion de beaucoup voyager - même au sein de son pays - et la peur des hommes ailleurs est certainement liée à cela aussi. Dans tous les cas, je serai prudente, ne vous en faites pas.
Je m'en vais donc dans la banlieue de Bursa, y cherchant Aysun qui m'accueille. Elle me donne rendez-vous dans un parc où elle et son copain jouent avec leur filles. C'est soir de fête pour ces dernières, car le plan est d'aller au Luna Park ! Je participe donc une soirée à leur vie de famille et découvre quatre personnalités charmantes. Les filles sont adorables, malheureusement, la barrière de la langue m'empêche de vraiment discuter avec elles. Aysun et son copain, par contre, parlent très bien anglais. C'est très agréable de discuter avec eux et je passe une super soirée. Pour le dernier manège, les deux parents et moi sommes conviés à essayer la grande roue avec les filles. Jolie vue de là-haut !
Aysun, Lori et moi rentrons dormir chez elles, tandis que son copain et la fille de cette dernière rentrent de leur côté chez eux.
J'ai droit au canapé-lit dans une jolie maison, je suis ravie. Aysun a vite envie d'aller se coucher et je n'ai pas le temps de lui demander le code du wifi. Mince. Je ne dors pas très bien pour la deuxième nuit d'affilée et doit me réveiller avec ces dames à 7h. Pas simple d'ouvrir les yeux, mais il faut bien.
Je n'ai pas le courage d'aller faire un dernier tour en ville avec mon gros sac à dos et décide de partir pour Izmir directement. De toute manière, j'ai bien compris que prendre les transports en commun ici prend bien plus de temps que prévu. J'ai envie d'y être en début de soirée, c'est peut-être pas plus mal de partir maintenant. Direction le métro pour atterrir ensuite à un arrêt de bus qui me permettra de rejoindre l'Otogar, le lieu de départ des bus longue distance. Georges n'a toujours pas pris connaissance des plans du métro et des bus et ne peut m'aider. Je sais simplement que le bus 38 va à l'Otogar, mais je ne sais pas d'où il part. Apparemment, une alternative existe, le minibus, mais même problème : je ne sais toujours pas où ceux-ci s'arrêtent (et il semblerait qu'il en existe plusieurs "lignes"). Je sors du métro à un arrêt qu'Aysun m'indiquait comme bon pour prendre le bus. Les informations s'arrêtent là. Il est où cet arrêt de bus ?
Je demande à des gens, l'anglais m'est toujours aussi inutile, mais fort heureusement les mots "bus" et "otogar" font parties de mon vocabulaire turc (pas compliqué vous me direz, je sais). On me fait comprendre qu'aucun minibus ne va à l'otogar. J'en doute, mais abandonne mes recherches de ce côté. Et mon bus 38 ? Tout le monde semble savoir que c'est le 38 qui va à l'otogar, mais personne ne sait où il passe.
Après plusieurs informations contradictoires, je finis pas trouver l'arrêt en question. Toujours pas d'horaire, ni de plan. Je sais pas si je suis du bon côté de la ligne. Environ un milliard de bus passent. Pas de 38.
Et soudain, passant d'une bonne cinquantaine de km/h à zéro en un coup de frein bien sec, mon cavalier se présente. Je n'ai pas de carte de bus, et il n'y a évidemment pas d'automate à l'arrêt (il n'y en a aucun dans la ville, je pense qu'ils manquent d'urbanistes dans la région), je fais comprendre au chauffeur que je veux lui payer mon billet en liquide. Il ne semble pas comprendre, ou n'en a pas envie. Il me fait signe de m'installer, m'indiquant que je peux abandonner l'idée d'acheter un billet. ça me convient tout autant.
Après ce qui me parait comme étant trois ans passés, nous arrivons à l'Otogar. J'ai beau ne faire qu'exagérer, je vous assure que ce qui suit est conforme à la réalité. Le truc avait la taille d'un aéroport. Vérification des bagages, ticket aux guichets des compagnies et pleins de shops. De l'autre côté d'une barrière surveillée par des policiers, plus de 100 quais de bus. Le mien part à 10h30, j'ai un peu de marge. Je m'achète un petit-déj et patiente. L'heure attendue est passée, toujours pas de bus. Malgré un feeling pas terrible à propos du type d'à côté de moi, je lui demande si je suis au bon endroit. Il regarde mon billet et me parle en turc. Je comprends qu'il me demande ce que je fais, mais n'ai pas très envie de discuter avec lui et fait un minimum d'efforts, c'est à dire aucun, pour communiquer. Je lui réponds essentiellement par des haussements d'épaules et une moue signifiant une incompréhension de sa langue, avec un petit "türkçe yok" (littéralement : turc pas).
Plusieurs bus arrivent, mais pas le mien, enfin le notre, car mon voisin va aussi à Izmir. L'un des bus décharge passagers et bagages. Dans la soute du car, le conducteur sort tranquillement un scooter rouge tout neuf, que l'un des passagers vient récupérer, fièrement. Épatant ce pays.
Mon voisin, qui semble déterminé à engager une conversation demande à revoir mon billet. Je sens vraiment pas ce type, mais le lui tend avec peu d'engouement. Il me dit "yirmi bir" (21). Je lui réponds un petit "tammam" (d'accord), sans trop savoir pourquoi il me répète quelle place j'ai. Je crois que cela partait en fait d'une bonne intention puisqu'il fallait ensuite dire notre place à haute voix en entrant dans le bus, ce que j'ai pu faire avec un joli accent français.
J'essaie de rattraper ma nuit, de trouver à manger lors de la petite pause autoroute dans un magasin vendant baklavas, olives et chips mais aucun sandwichs et finit par m'avouer vaincue. Je ne me nourrirai que de chocolat et de jus et me promet de me nourrir sainement ce soir.
Vers 15h, le bus arrive à l'otogar d'Izmir. Là, le gars de tout à l'heure revient vers les bagages, alors que je me souviens l'avoir vu n'en déposer aucun. Il vient pour me parler et m'explique quelque chose en turc. Je comprends qu'il me parle de bus ou de moyen de transports, et malgré le potentiel samaritain qu'il est, je n'ai aucune envie de le suivre et part à l'opposé en espérant y trouver un minibus (un dolmuş, ce qui veut dire "rempli" (de gens)). Bingo, je trouve ma perle. On me demande 12 liras, j'ai jusqu'à présent toujours payé dix et j'ai l'impression de me faire avoir, en même temps ce n'est que quelques centimes de francs suisses... pour le principe, j'en donne dix en retour et attend une réaction. Le type semble ne pas en demander plus ; contrat tacite de marchandage accepté. Il roule la porte ouverte : aération pratique.
Je n'ai toujours pas vraiment compris dans quels cas j'étais censée marchander et dans quels cas pas. J'ai l'impression que le fait que je sois étrangère me demande toujours -non pas vraiment de marchander-, mais de remettre le prix demandé à celui du consommateur local... enfin... je sais pas. Peut-être que mon voyage est fait à moitié de transactions où je me fais rouler comme pas possible et d'autres où l'on m'offre tout d'une simplicité déconcertante. Au final, je m'en sors correctement avec ce calcul. La naïveté payerait.
Vers 16h30, j'arrive aux alentours de l'appartement de Emine qui m'accueille. C'est une très bonne amie d'Erdjan que ce dernier à contactée pour lui demander si elle voulait bien partager son toit avec moi pour quelques jours. J'ai bien trop d'avance sur son programme et décide de mon poser à un café, à défaut de visiter la ville, car le poids de mon sac à dos me décourage à tenter pareille aventure. Je mange quelques pâtisseries turques et m'enfile plusieurs limonata jusqu'à plus soif. J'ouvre "l'Usage du monde", car je n'ai pas encore bien compris comment l'utiliser et profite de me poser et de relâcher le stress du déplacement. De la pop turque et musique traditionnelle passe en arrière-plan, je me sens bien en Orient. La serveuse est adorable et essaie de discuter avec moi, en anglais et en turc traduit. Elle trouve très courageux de voyager seule en tant que femme. Elle est très encourageante. C'est ça la nouvelle génération ; contrairement à la femme de Bursa, elle ne me freine pas, malgré les mêmes appréhensions. Je lui achète des baklavas pour les offrir à Emine et tente de discuter avec elle. Je passe plusieurs heures dans ce café. J'attends qu'Emine m'envoie le feu vert me disant qu'elle est chez elle, mais j'apprécie fortement ces heures de calme et de lecture. Ça fait du bien.
Emine m'écrit qu'elle est chez elle et que je peux venir. Elle m'accueille très chaleureusement, et je sens que je vais bien m'entendre avec elle. Elle me prépare une salade pour le souper ; je suis aux anges. Des légumes, enfin ! Nous discutons avec grand plaisir, mais je sens que mes deux courtes nuits de sommeil me rattrapent. Je suis crevée. Je pars me coucher vers 23h et dors super bien dans une pièce super bien rangée et hyper feng shui (ou plutôt la représentation que j'en ai. Qu'importe, une ambiance très agréable quoi).
Le réveil n'est pas facile, mais mon corps revient vite à lui en apprenant que le petit-déjeuner sera typiquement turc. Quel plaisir ! Emine me chouchoute vraiment !
Tandis qu'elle s'en va au travail (elle est enseignante), je pars en direction du centre-ville avec maintes recommandations de lieux à visiter dans la poche.
Je commence par l'Agora, site archéologique en cours de fouille de l’antique cité de Smyrne. Poursuis évidemment ma balade par le Bazaar à Kemeraltı et slalome entre les poissons, crevettes et autres crustacés littéralement arrosés par les marchands pour garder la pêche au frais. Je rentre en coup de vent dans la mosquée principale de la ville. Moins impressionnante que celles d'Istanbul et de Bursa ; il en faut bien des moins belles. Je poursuis sur la place Konak pour admirer le symbole de la ville, la tour de l'horloge. Juste devant elle, une toute petite mosquée trône sur la place et l'appel à la prière de Muezzin parait être un souffle venu d'Orient. Je suis bien en Asie.
Je marche ensuite le long du bord de mer pour aller prendre le vieil Asensör, construit il y a plus de 100 ans pour épargner aux habitants du quartier les 155 marches à escalader pour monter une colline.
Emine m'a recommandé un point de vue du nom de Kadifekale. Elle me demande de ne pas y aller en transports publics, ni à pieds, mais uniquement en taxi. C'est trop dangereux selon elle. Je suis un peu perplexe mais décide de l'écouter et me trouve un taxi qui ne parle évidemment pas un mot d'anglais. je lui demande de faire l'aller, mais souhaite revenir par mes propres moyens ou trouver un taxi sur place. J'utilise mon traducteur pour m'exprimer et suit évidemment les conseils de Georges (tu sais, le pote de Wiki) pour vérifier le chemin. Selon Georges, un chemin plus court existe, ce que je fais remarquer à mon conducteur. Celui-ci me répond qu'il s'agit du chemin le plus sûr et rapide pour arriver au point de vue, car c'est très dangereux comme quartier (tout ça via traducteur, évidemment). Je commence à me demander où je vais mettre les pieds. Arrivés à destination, mon chauffeur me demande d'être extrêmement prudente, ce qui me fait renoncer à mon plan initial : je lui demande de m'attendre pour qu'il me ramène en ville. Il semble soulagé et décide alors de me faire la visite. Il m'emmène sur les remparts du château et essaie de m'expliquer le paysage en turc et en mimes. Je crois comprendre la plupart de la converrsation et lui répond alternativement des çok güzel (très bien) et des teşekkür ederim (merci) et traduit de temps en temps quelques phrases sur mon téléphone. Il me ramène à bon port (littéralement, à celui de de Konak) pour un prix très correct.
Avant de rentrer rejoindre Emine, je passe m'arrêter à un café pour y manger des baklavas. Je trouve mon bonheur et commande aussi un café turc, le fameux türk kahvesi. Je me pose un moment et commence à discuter avec celui qui semble être le patron. Il parle un peu anglais et on s'aide de traducteurs pour le reste. Il a un shop à Istanbul où il vend des montres. Il est ravit que je visite la Turquie et me parle du Sud les yeux brillants. Il m'offre un thé et sors son téléphone pour me me montrer un selfie, je ne comprends pas tout de suite puis il me dit : Atatürk ? Il est le sosie du premier président de la république de Turquie et il en est fier. On discute un long moment, puis il m'annonce que je suis son invitée. J'essaie sans succès de payer mes baklavas et mon café. Il me donne sa carte de visite et me fait promettre de lui faire visiter Neuchâtel s'il vient en Suisse un jour. Il veut m'offrir à manger mais je dois rejoindre Emine qui m'attend pour faire à manger.
Je la retrouve chez elle, elle marche terriblement difficilement. Sa hanche lui fait super mal, elle est blessée depuis un moment mais aujourd'hui, la douleur se fait vraiment forte. On mange ensemble et profitons de la température agréable du soir smyrniote. Elle veut vraiment que j'aille faire un tour dans le quartier qui bouge au bord de mer, elle insiste et se désole de ne pouvoir m'accompagner du fait de sa hanche douloureuse. je m'exécute malgré mes yeux ensommeillés, mais elle avait raison, les lumières de la ville se reflétant sur la mer, c'est inratable. Je me prends une glace et me balade le long de l'eau. Il y a tellement de monde ! Les pêcheurs ont sortis leur plus belle cannes, des familles pique-niquent (il est 23h) et le mais fraichement grillé se déguste sur les bancs.
je rentre fatiguée, mais comblée.
Le lendemain matin, je m'efforce d'ouvrir les yeux malgré une forte envie de me recoucher, car j'ai un programme chargé. C'est à Bergame (ou Pergame) que je pars visiter. Emine me refait un déjeuner turc, je suis au paradis. Quelques explications me sont données pour trouver mon chemin et c'est parti ! Emine aurait aimé m'accompagner, mais sa hanche l'en empêche. C'est donc seule que je monte dans le métro pour quitter la ville. Mais ça c'est une autre histoire.
Woooow trop bien! Et je trouve aussi qu'il a vachement la même tête que Atatürk!!!
Que de rencontres! Que d’intensité! Teste. J’en à l’écoute de ton intuition et des anges mis sur ta route 🙂