Ma carte SIM activée, je suis désormais parée pour visiter Tabriz. Le frère de Sajjad me laisse seule et je commence par découvrir la très belle Mosquée bleue pour 500’000 rials, 1.5.- CHF (une fois avoir trouvé l’entrée, ce qui n'était pas chose aisée).
Le bleu Persan ne se fait pas timide malgré la restauration en cours de la façade de la mosquée. Je suis éblouie par la magnificence de l’Iran et ce n’est que le début.
Ma visite se poursuit par une balade dans les ruelles de la ville. Mes pas m’emmènent jusqu’à Arg-e Tabriz où je suis seule pour découvrir l’immense mosquée de l’imam Khomeini, qui se trouve à côté de restes de la citadelle du XIVe siècle de Tabriz. Les criminels y étaient pendus du haut des murs de la ville. Charmant. Plus tard, les russes l’utilisent comme un poste de commandement lors de l’invasion de 1911. Tout aussi chouette.
Je ne peux m'empêcher ensuite de retourner me perdre dans le bazaar de Tabriz. Je porte des vêtements prêtés par la famille de Sajjad et passe (presque) inaperçue ; joie et bonheur. Je veux m’acheter un “manto” et des pantalons larges, mais je sais qu’il me faudra négocier sec, on m’a prévenue. Je ne réussis pas vraiment à négocier mon manto (le veston qui cache les fesses, cette abominable partie du corps qu’on ne saurait voir - cachez moi ça de suite !).
Je me demande si, en comprenant que j’étais une touriste, la vendeuse ne m’a pas fait un prix et que je n’avais ainsi qu’à accepter ou refuser ce dernier, sans pouvoir rien y changer.
Le prix est correct pour un tel vêtement, je ne m’en horrifie donc pas. Au tour du pantalon, le vendeur me demande 1 millions de rials. J’essaie tant bien que mal de négocier ne sachant absolument, mais alors absolument pas le prix que ça vaut. Le vendeur semble surpris de me voir négocier et accepte une très insignifiante baisse de prix. Ce n’est qu’après que je réalise que le prix demandé était lui-même insignifiant, 3.- CHF ! La mère de Sajjad ne s’en est toujours pas remise, elle veut faire du shopping avec moi désormais.
Je continue à me perdre dans le bazaar, tombe sur une jolie petite mosquée et arrive au bazaar de tapis. Un type semble me reconnaître et m’emmène dans son échoppe jusqu’à ce qu’il réalise que je ne suis pas la même Suisse qu’il a rencontrée la veille. Pas grave, il essaie de me vendre ses tapis. Je lui explique que mon sac à dos est trop petit pour un tapis mais je prends pleins de photos de ses tapis pour lui faire plaisir.
Selfie Time comme partout, car l’étranger est une attraction touristique. Il ne veut plus me laisser partir, me montre les tapis de son copain du magasin d’à côté. “Heilirub”, c’est très beau, ne fais-je que de répéter, ne sachant quoi dire.
Quand il me laisse enfin repartir, je repasse encore devant un caravansérail puis essaie de trouver de quoi me nourrir. Je dépense tout ce qu’il me reste en énergie pour trouver un restaurant, et j’y reste un bon moment, en dégustant ce que j’ai arbitrairement pointé du doigt sur la carte. Je demande une limonade en turc mais on m’amène un coca, me voila déçue. Qu’importe.
Je dois m’envoyer l’adresse de Sajjad en perse sur mon autre téléphone et installe donc WhatsApp avec mon numéro iranien. En ouvrant l’application, je découvre les messages qu’Henry a envoyé durant les trois semaines où il a utilisé mon téléphone (car le sien était cassé). Je suis horrifiée et réalise qu’il s’est complètement foutu de ma gueule. Je n’ai jamais été autant en colère.
Je n’arrive pas à commander un taxi car lorsque je mets l’adresse de Sajjad, il me faut choisir entre plusieurs possibilités et je ne lis toujours pas le Farsi. J’essaie de demander de l’aide, ça parle pas anglais, ça veut pas m’aider. J’hèle un taxi qui passe, il freine. Une femme est déjà installée mais j’ai lu que les taxis se partagent. Je lui donne l’adresse m’installe jusqu’à ce que je comprends qu’il me vire. Pourquoi s’est-il arrêté alors ? Je suis au bord des larmes, fatiguée, vidée.
Je finis par trouver un taxi qui me dit savoir où se trouve cette adresse. La « politesse » persane qui consiste à ne pas avouer à l’autre que l’on ne sait pas commence à me taper sur le système ; je suis extrêmement tendue quand le chauffeur de taxi s’arrête plusieurs fois pour demander son chemin.
Mon chauffeur de taxi me demande mon Instagram. Je trouve ça étonnant mais tout le monde me le demande dans ce pays. Je lui transmets mon nom et il commence très allègrement à regarder mon compte en conduisant. Je suis mal à l’aise de le voir regarder mes photos de voyage, mais je suis surtout vraiment stressée parce qu’il a le nez collé sur son téléphone. Il tend son bras à la fenêtre en guise de clignotant, et nous voilà enfin chez Sajjad qui m’accueille cette nuit.
Je me crois enfin tranquille, mais Sajjad m’appelle pour manger chez sa mère, à l’étage du dessous. J’aurais tellement aimé jeûner et dormir ce soir là.
Je couvre mes épaules, car il m’avoue que mon top risque d’être too much et on descend. J’ouvre la porte et tombe nez à nez avec une dizaine de personnes me fixant, dont quelques visages connus. Des cousines, des tantes, des oncles, les parents, le frère… et c’est reparti pour un tour.
Le repas est prêt et je manque de verser en réalisant ce que l’on va manger. J’ai envie de vomir en voyant le crâne de mouton dans le bol. Ça sent la viande forte à des kilomètres et je sais que ces dames n’ont en tête que de m’engraisser. J’essaie de trouver de l’aide auprès de Sajjad mais il ne comprend pas ma détresse. On commence par la soupe au bouillon du jus de cuisson de la viande. C’est déjà beaucoup trop fort, je cache mes grimaces avec difficulté et dois boire un verre d’eau pour faire passer la sauce. On me ressert bien sûr.
Pokerface Louise, pokerface. Je souris, prends mon temps pour manger afin qu’on ne me resserve pas. On me demande ce que j’en pense : « c’est très bon, mais un peu fort par rapport à ce dont j’ai l’habitude ». Une goutte de sueur, une.
Vient la viande elle-même. On me sers une énorme plâtrée et du pain. C’est visqueux, c’est immonde. J’ai toujours la même nausée et ne sais pas comment me sortir de cette situation. Peu convaincue, je glisse le bout qui me dégoûte le moins dans un bout de pain, et le met à la bouche. J’ai besoin d’eau, vite. C’est fort et cette consistance n’améliore en rien la torture. Je déglutis avec peine, et continue ma géhenne. Mes hôtes réalisent que je peine à manger, je m’efforce donc de continuer. Je feins un ventre bien rempli pour laisser Sajjad terminer mon assiette. Laissez moi partir. C’est un cri du cœur, lasse des derniers hauts-le-cœur.
Je suis convaincue que mon (espérée) transition végétarienne après l’Iran n’aura jamais été aussi simple qu’après cette expérience.
Après le repas, on me pose beaucoup de questions sur ma famille, je leur montre les photos du mariage de Marie - comme je l’ai fait partout ailleurs. Que de « oh » et de « waouw ». L’heure du thé, du melon et des pêches sonne. La tante de Sajjad m’avoue qu’elle m’a acheté des habits ayant vu mon dernier accoutrement de la veille. Le malaise reprend. Elle veut que j’essaie ce qu’elle m’a acheté. Elle demande à Sajjad de nous accompagner et nous voilà suivis par toutes les femmes de la soirée pour s’enfermer dans une chambre. Je suis d’autant plus mal à l’aise que Sajjad est présent. Elles croient toujours que l’on est mariés. Je le vire juste à temps avant que ces dames m’habillent et me déshabillent comme leur poupée barbie. Je suis vidée, mes cinq sens sont en feu, ma patience est à bout et mon espace personnel est violé. On veut me parer de kitsch, d’une robe pour gamine de huit ans et d’un tee-shirt jaune poussin repoussant. Je réussis à leur démontrer que je n’entre pas dans la robe (c’est la petite cousine qui finira par la garder), et réussis à leur expliquer qu’un sac à main ne rentrera pas dans mon sac à dos, tout comme la tonne de vêtement proposés. Encore cette douce excuse bien confortable du sac-à-dos. J’essaie de les remercier malgré le fait que ce cirque m’épuise et me vois obligée d’accepter un manto et un joli (quand même !) foulard.
On me laisse enfin aller me coucher à 1h du matin, après un petit spectacle de danse de la jeune petite cousine.
Le lendemain, je me casse à Téhéran, dans une auberge (si j’arrive à trouver un bus malgré la poursuite de la meme fête religieuse qui dure depuis une semaine).
Un dernier petit-déjeuner à Tabriz, puis Sajjad et son frère m’emmènent à la station de bus. Il n’y a pas de bus qui part pour Téhéran mais ils me trouvent un taxi partagé. Il y a un peu plus de huit heures de route, ça me coûte quelques 15.- CHF ; peu cher.
La suite de mes aventures à Téhéran devra attendre mon départ du pays, je vous laisse imaginer pourquoi.
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