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Photo du rédacteurLouise Perriard

Tabriz, Kandovan et Khoy

J’étais donc bien arrivée à Tabriz. Comme ma nuit avait été courte, j’ai bien vite décidé de me remettre au lit de 7h à midi. A mon réveil, mon hôte m’offrait le petit-déjeuner et je faisais la rencontre d’un couple cycliste allemand, puis d’un cycliste norvégien. Ma mission de la journée était simple : trouver une carte SIM. En fait, pas si simple que ça. On était jeudi, c’est-à-dire le premier jour du week-end en Iran. Certains magasins étaient déjà fermés, tandis que le lendemain tous le seraient...et le samedi, tout serait exceptionnellement aussi fermé car avait lieu la fête religieuse de l’Arbaïn. Tout un programme.

 

Me voilà donc partie chercher la précieuse carte dans le magasin recommandé par mon hôte Amin. Le magasin est fermé – ou il n’existe pas. Je décide alors d’errer dans la ville en espérant trouver mon bonheur. Ne trouvant aucun magasin vendant des cartes SIM, je finis par demander où trouver cette denrée rare. On m’envoie à l’autre bout de la ville. Là-bas, rien. Je redemande mon chemin, on m’envoie de l’autre côté. Ce cirque continue jusqu’à ce que je réalise que les gens ont aucune idée d’où ils m’envoient. C’est le problème ici, c’est tellement mal vu de répondre « je ne sais pas », que l’on préfère répondre n’importe quoi. Drôle de vision du concept d’aide. Je fais un tour dans le bazaar, mais avec ma carte SIM en tête, ne profite pas complètement. Je veux me débarrasser de ce poids... Malgré tout, la magie opère, je souris en me baladant dans le quartier où se vendent les fruits et légumes. Je passe devant un type qui vend de la coriandre fraiche que sa machine coupe devant ses clients. C’est un autre monde et c’est un monde éblouissant. Le bazaar est immense - c’est le plus grand bazaar couvert du monde – et tout s’y trouve (excepté des cartes SIM bien sûr). C’est bondé de monde, ça marchande à côté de moi, certains crient leurs codes de carte bancaire (car c’est comme cela que ça fonctionne ici, on ne tape pas son code soi-même), et l’odeur des épices fait son chemin jusqu’à mon nez. Je voulais l’Orient, le voilà.

 

Le seul ennui, c’est que j’ai l’impression d’être la seule européenne de toute la ville qui a tout de même 2 millions d’habitants. Enfin, ce n’est pas le fait d’être la seule européenne qui est dérangeant, c’est le fait d’être regardée comme étant la seule étrangère qui l’est. On me dévisage, on me suit du regard, on tourne la tête quand je passe. Je me sens pas du tout à ma place. Il me faut absolument changer ces habits. Je dois de toute manière acheter un pantalon et un haut long, car ceux que je porte sont les seuls de ma garde-robe qui remplissent les critères stricts de l’Iran. Mes autres habits sont interdits ici. Je suis tellement accaparée par ma recherche de carte que j’en oublie d’acheter des vêtements et lorsque je m’en rends compte, je suis loin du bazaar et crevée. Je retournerai demain. Ah c’est fermé les deux prochains jours me dit-on à l’oreillette ? Merde.

 

Je n’ai toujours pas de carte SIM et essaie un dernier magasin. Ils en vendent ! Mais on me dit que je dois être en Iran depuis trois jours au moins. Je trouve ça absurde et essaie de négocier. C’est non, c’est fermement non. Règle du gouvernement, me dit-on.

 

Je retourne à l’auberge et revois Louis, le british (chuuuuuut, il ne faut pas le dire ici) / australien que j’avais rencontré à Erevan et avec qui on avait décidé de faire le trajet ensemble allant dans la même direction. Sauf qu’on avait réservé des bus différents sans s’en rendre compte et qu’il était donc arrivé quelques heures avant moi. Je suis contente de voir un visage connu ici. On discute voyage, je lui parle de mon projet/rêve de traverser l’océan atlantique en voilier-stop. Il me dit qu’il a déjà fait du bateau-stop depuis l’Angleterre jusqu’en Europe. Je note le site qu’il me propose.

 

Louis est aussi parti à la recherche d’une carte SIM, sauf que pour lui, la pêche était bonne. Lui n’a pas été freiné par son séjour de moins de 24h en Iran. Il me raconte que c’était tout une aventure qui lui a pris trois heures, que plusieurs coups de téléphone ont été passés pour qu’on lui dégote sa carte et qu’en attendant qu’elle arrive, les gars qui l’ont aidé l’ont emmené dans un bar à shisha et qu’on l’a invité à un anniversaire le soir même – auquel les « Westerners » qu’il connaît sont les bienvenus. Il me propose donc de venir avec lui à cet anniversaire. Un des gars rencontrés dans la journée devant passer en voiture venir nous chercher. Une vingtaine de minutes plus tard, appel du type en question. Il est désemparé et s’excuse un million de fois. Il a eu un accident de voiture et annule donc la soirée. Au vu de la conduite iranienne et de l’état des voitures ici, un accident de voiture est quelque chose qui doit être très sérieux. C’est donc tellement typique d’ici de s’excuser de son accident avant de s’assurer que sa propre santé ne soit pas en danger ! On est un peu déçus de ne pas aller à cette soirée, mais dormir nous fera du bien aussi. On rencontre aussi Rogger, un brésilien de notre auberge ainsi que Tobi, un suisse-allemand (!).

 

J’ai faim et vais me trouver un truc à manger, les autres ont soit déjà mangé, soit n’ont pas faim et je pars donc seule à la recherche d’un resto pas loin de l’auberge. Je trouve un kebab caché à 100m et entre. Il est tard et je suis la seule cliente dans cette immense salle. Je ne peux évidemment pas lire le menu en farsi (alphabet arabe avec quelques variations) et tente donc de commander un kebab. Quel bonheur de pouvoir parler turc à Tabriz, je serai tellement perdue dans les autres régions d’Iran qui ne parlent que le farsi... La langue parlée à Tabriz est l’azerii, ce qui est très ressemblant au turc que je connais de Turquie. « Bir kebab ve bir pepsi lütfen ». Il y a évidemment plusieurs types de kebabs, ce que me fait remarquer le manager du resto en turc – ce que je comprends quand il me demande sur la carte lequel je veux. J’essaie de lui faire comprendre que je mets toute ma confiance en lui pour me servir ce qu’il veut, mais il ne semble pas comprendre. Je dis donc oui à tout ce qu’il me propose sans vraiment savoir ce à quoi j’acquiesce. Arrive donc le kebab (avec une tonne de riz), une soupe ainsi que des oignons (grand classique de l’Iran que de servir des oignons – entiers ou coupés- partout). Il a l’air gêné, embarrassé ou simplement saoulé de ma présence ? Je suis étonnée, en Iran l’étranger est pourtant toujours si bien accueilli ! Je comprends en fait qu’il est gêné de ne pas pouvoir me parler à cause de la barrière de la langue. Il appelle alors son fils qui arrive quelques minutes plus tard. Lui parle anglais et me pose les questions que son père veut me poser. Qu’est-ce que je fais là ? D’où je viens ? Pourquoi venir en Iran ? Qu’est-ce qui m’intéresse en Iran ? Il ne comprend pas pourquoi je viens visiter leur pays. Je réponds donc à ces questions, expliquant que leur pays est un trésor et que les habitants y sont tellement accueillants, ajoutant aussi que leur culture est tellement différente de la mienne... Eux m’expliquent comme l’inflation pèse sur le pays (« the government doesn’t know how to handle things »), qu’ils veulent partir – et que la Suisse, c’est tellement beau en photo, ça doit être bien d’y vivre, comment peut-on réussir à venir vivre en Suisse ? –, que tout le monde veut partir, que vivre ici c’est un cauchemar, que la vie est dure. Ils rigolent quand je dis que je viens visiter leur pays et que c’est beau. « Iran is angry against the world ».

 

Je ne sais pas quoi répondre.

 

Il finit par me conseiller des endroits à visiter. Puis arrive l’oncle du plus jeune. Je suis clairement un ovni ici. On me propose de venir dans leur jardin pour un barbecue – ou du moins c’est ce que je comprends. Je connais toutefois le taarof ; une habitude culturelle iranienne qui comprend plusieurs comportements sociaux à adopter afin d’être poli. Le taarof régit les règles de l’hospitalité et un hôte doit ainsi proposer à son invité tout ce qu’il pourrait désirer, tandis que l’invité doit refuser jusqu’à être assuré que son hôte veut vraiment lui offrir ce qu’on lui propose. C’est donc un échange de « - si – non, merci », souvent par trois fois. Je refuse donc par trois fois, et m’assure ainsi que l’offre vient du cœur, car il continue de me proposer de venir dans leur jardin un de ces prochains jours. Je réponds que si je reviens dans leur kebab manger, ça serait avec plaisir. Il semble satisfait.

 


Je galère à payer, car ici, les prix sont en trois monnaies différentes bien que la monnaie officielle soit le rial. Souvent les prix sont affichés en toman, ce qui équivaut à 10 rials. Pour simplifier le tout, les iraniens parlent parfois en “khomeinis” c’est à dire un multiple de 10.000 (2 khomeinis = 20.000 rials). La monnaie ici, c’est l’enfer du touriste. Le toman est le plus utilisé, alors que le prix sur les billets est affiché en rials. Quel effort intellectuel que de payer.

 

Vous ne suivez pas, je le sais. Je vous donne un exemple. Disons que le prix d’un jus est de 300’000 Rials. Si vous voulez dire le prix du même jus en Toman, vous devez dire : 30’000 Toman... Et ce que vous allez payer, c'est un billet de 30’000 Toman, mais ce qui est écrit dessus est 300’000 Rials ! Vous suivez ?

 

Mon repas payé, je rentre à l’auberge. Un autre voyageur s’est ajouté à l’équipe, Juan l’espagnol. Amin, le chef de l’auberge (le chef de nous ? Chapeau si t’as la ref.), nous propose d’aller à Kandovan le lendemain, puisque tout sera fermé à Tabriz. C’est un petit village constitué d’habitations que sont les grottes dans la roche : un petit air de Cappadoce (Göreme). Notre équipe constituée de Louis, Tobi, Juan et moi-même aimons l’idée et décidons le lendemain de visiter ce village. Ça papote encore mais je suis crevée et vais me coucher.

 

Comme c’est un jour férié spécial, Amin nous encourage à partir tôt, car les iraniens bougent dans le pays et risquent de visiter les sites touristiques comme Kandovan. Il y aura donc du Traffic prévient Amin.

 

Nous partageons donc un taxi pour atteindre la cité troglodyte qui est à une heure de route de Tabriz. Notre hôte nous recommande un village sur la route et demande au taxi de nous y emmener. Notre chauffeur ne trouvera jamais ce point de vue, nous lui demandons de renoncer à la recherche de ce village après 30’ d’errance dans des petites rues au milieu de nulle part. Nous continuons donc vers Kandovan, la vraie destination. A un kilomètre du village, les bouchons nous empêchent d’avancer. Nous décidons donc de sortir du taxi et de franchir les derniers mètres à pied. Quelle chaleur.

 

Nous entrons dans le village et échappons au coût d’entrée puisque nous ne sommes pas en voiture. Bienvenue en Cappadoce, une Cappadoce qui n’a pas été détruite par les touristes, un village où on y vit encore, un village où nous sommes les seuls touristes qui ne sommes pas iraniens.

 

Les iraniens demandent tellement à nous prendre en photo que l’on se demande si Kandovan est l’attraction touristique ou si nous sommes cette dernière. Nous nous baladons dans les ruelles montagneuses, prenons masse photos et nous faisons inviter à entrer dans tous les shops possibles et imaginables. On nous fait tester du miel d’ici, des abricots secs et un truc immonde qui ressemble à une craie mangeable et que j’ai recraché dès que le vendeur ne m’avait plus à l’œil. Tous espèrent nous vendre leurs spécialités. Nous finissons par avoir faim et cherchons un endroit où nous restaurer. Nous trouvons un restaurant qui nous vend des kebabs que je commande en turc (décidément, comment vais-je faire plus à l’Est quand le farsi sera la seule langue parlée ?!). Nous nous partageons le fameux kebab d’ici accompagné de dour, le yoghurt fermenté d’ici (mais alors vraiment très, très très bien fermenté – un peu trop même). Nous nous en sortons pour moins de 3.- suisse par personne.



 

Fatigués, nous décidons de rentrer. Il nous faut trouver un taxi, ce qui s’avère impossible. On veut tenter de faire du stop mais toutes les voitures sont remplies. On trouve enfin un type seul en voiture qui semble distribuer du pain dans les restaurants. On lui demande s’il peut nous pousser. Il accepte avec un grand sourire et peut nous emmener jusqu’à mi-chemin. Il conduit à l’iranienne ce qui évidemment signifie dangereusement. Nous n’avons pas de ceinture – comme d’hab ai-je envie de dire. Toujours en vie, il nous dépose devant un bus qui va jusqu’à Tabriz nous dit-il – parfait. Le bus nous coûte quelques centimes par personnes. Au terminus, on nous fait comprendre qu’il faut sortir et on prend alors un taxi pour franchir les derniers kilomètres qui nous séparent de notre auberge.

 

Le soir, j’essaie de me connecter à internet mais le wifi est trop mauvais et je n’arrive pas à connecter mon VPN – tant pis, pas de film ce soir.

 

Avant de m’endormir, je reçois un message de Sajjad qui me dit qu’il est arrivé à Tabriz et que si j’en ai envie, on peut se faire une petite marche le lendemain matin aux alentours de Téhéran, car la vue y est superbe. J’accepte avec plaisir et propose à Tobi s’il veut venir avec. C’est oui. Quant à Louis et Juan, ils partent le lendemain pour Téhéran.

 

Le lendemain matin, Sajjad m’écrit désolé qu’il doit aller visiter son oncle et qu’il ne peut pas refuser ça. Je comprends tout à fait et le rassure ; je dois visiter les mosquées de Tabriz et j’ai du pain sur la planche. Quelques minutes plus tard, il me réécrit et me dit que je n’ai qu’à venir avec visiter sa famille – pour vivre une vraie expérience d’immersion dans une famille iranienne. Je m’assure qu’il ne me fait pas de taarof (mais il est trop américain pour ça) et accepte avec plaisir. Je fais mes affaires en deux secondes et dis au revoir à Tobi, auprès duquel je m’excuse de ce changement de plan. Sajjad m’envoie un taxi qui m’emmène chez lui et je rencontre ses parents et son frère. Seul son frère parle anglais, sinon la langue des yeux et mes quelques pauvres mots de farsi me permettent de communiquer. Pour des iraniens, je crois qu’ils vivent extrêmement bien, cela doit avoir un lien avec le fait que Sajjad vit et travaille aux USA. Le père de Sajjad me serre la main : je fais donc partie de la famille, car autrement on ne serre pas la main des femmes. Nous embarquons en voiture, le frère de Sajjad, sa maman et moi et partons en direction de Khoy, une ville de l’état iranien Azerbaïdjan-ouest (tandis que Tabriz est en Azerbaïdjan-est). Son frère conduit...et mon dieu que je ne conduirai jamais dans ce pays. Même Sajjad me dit qu’il n’en est plus capable après avoir vécu aussi longtemps aux états-unis.

 

La mère de Sajjad me propose des graines de tournesol en voiture, il s’agit d’une spécialité de Khoy. Le trajet est long, les paysages très beaux. L’autoroute n’est pas séparée par des lignes, chacun les mets donc où il veut dans son imagination, on dépasse par la droite ou par la gauche, on se met à quatre voitures à côté alors qu’il y a de la place pour deux files parallèles. Près des villages, des piétons traversent l’autoroute, sans même courir. Le clignotant n’existe pas et le klaxon est étonnement épargné. Nous ne sommes toujours pas attachés.

 

Le frère de Sajjad nous emmène à bon port et nous sommes accueilli chez le frère de sa mère. C’est un véritable comité d’accueil, des cousines et leurs enfants, d’autres oncles, d’autres tantes... Il faut comprendre l’agencement des salons iraniens pour réaliser comme il est effrayant d’atterrir au milieu de ces regards : les salons sont installés en U, avec des sièges et canapés sur les bords et rien à part des tapis au centre. Ainsi, tout le monde se tourne automatiquement vers toi lorsque tu rentres dans un salon iranien. C’est flippant, surtout quand tu ne connais pas la langue et que tu ne connais personne. Je salue tout le monde par des salam et des sourires, on me pose beaucoup de questions que je ne comprends pas – en azerii évidemment. Au programme du repas de midi : un mouton sacrifié en l’honneur de la visite de Sajjad – qui apparemment ne visite pas souvent sa famille. Le repas se fait évidemment au sol et j’essaie tant bien que mal de comprendre comment manger et ce qui est supposé aller ensemble. On se moque pas mal de moi, on m’observe. C’est fatiguant mais on m’accueille si bien que je ne peux m’en plaindre. Ce n’est que le premier d’une longue série de repas comme ça.




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4 comentários


Josias Heubi
Josias Heubi
30 de set. de 2022

3.- ça représente environ quoi en Toman, en Rials et heu en billet monopoly ?

Et puis tu penses être capable de reconnaître une ceinture de voiture à l'avenir ?

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Louise Perriard
Louise Perriard
01 de out. de 2022
Respondendo a

Hahaha je te jure que même après deux semaines j’ai encore de la peine 😂

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Yves Perriard
Yves Perriard
29 de set. de 2022

Et c'est là que tu deviens végétarienne ..... lol

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Louise Perriard
Louise Perriard
29 de set. de 2022
Respondendo a

Clairement 😭

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